Depuis 2015, l’écrivain Daniel Pennac ne manque aucune occasion pour dénoncer l’indifférence face aux naufrages en Méditerranée et pour appeler à soutenir la mission salvatrice de notre association. À l’occasion du 9 mai, Journée de l’Europe, qui marque également le dixième anniversaire de la création du réseau européen de SOS MEDITERRANEE à Berlin, il sort à nouveau sa plume pour un nouvel appel à la résistance.
Toi, tu peux le sauver
Depuis que l’Italie oblige les navires sauveteurs à accoster le plus loin possible des zones de naufrages, 5500 migrants sont morts en Méditerranée. Ils s’ajoutent aux dizaines de milliers qui s’y sont déjà noyés.
Pourquoi juge-t-on légitime d’assassiner le droit maritime pour laisser mourir tant de malheureux ?
Si l’on en croit nos propagandes électorales parce qu’ils sont :
- Trop nombreux pour nous autres européens.
- Trop menaçants pour notre travail.
- Trop noirs pour notre couleur de peau
- Trop redoutables pour l’ordre public.
- Trop différents ethniquement,
- linguistiquement,
- culturellement,
- religieusement
- sexuellement,
- culinairement.
(Je ne plaisante pas, un de nos présidents français les plus populaires se plaignait en souriant de ces « musulmans et ces noirs » qui s’accumulaient dans les banlieues, de leur nombre, de leur sexualité prolifique, des odeurs de leurs cuisines, le tout « rendant fou » le « travailleur français »: On l’aimait beaucoup ce président. Un chic type ! Toujours le mot pour rire et la bière pour trinquer. On le croyait quand il propagandait. Et on votait pour lui afin de ne pas voter pour pire. Oui, le brave homme savait très bien se faire élire.)
Voilà pourquoi tant de réfugiés se noient en Méditerranée.
Parce que ce genre d’hommes et de femmes savent bien se faire élire.
Parce que nous feignons de croire en leur propagande.
Ce sont de formidables tueurs d’empathie.
Mais autre chose encore tue notre empathie.
Le nombre des morts.
Tous ces zéros.
Les chiffres aussi sont tueurs d’empathie.
Que puis-je faire, moi tout seul, pour ces milliers de gens qui risquent la noyade ?
Après tous ces milliers d’autres qui se sont déjà noyés ?
Que puis-je faire ?
Moi, tout seul.
Toi tout seul ?
Je sais ce que tu peux faire.
Fais comme s’ils n’étaient pas des milliers à se noyer.
Fais comme s’il n’y en avait qu’un.
Un seul homme.
Une seule femme.
Un seul enfant.
Et fais comme si tu étais là.
Sors-le de l’eau.
Sors-la de l’eau.
Sors l’enfant de l’eau.
Tu ne peux pas ?
Bien sûr que si, tu peux.
C’est même le contraire que tu ne pourrais pas faire ! Tu ne pourrais pas cheminer tranquillement à côté d’un homme, d’une femme, d’un enfant qui se noient en leur disant :
– Je te sauverais bien mais on me dit que tu es trop différent, trop menaçant pour le marché du travail, trop dangereux pour l’ordre public…
Ça tu ne pourrais pas le faire.
Tu sortirais cet homme, cette femme ou cet enfant de l’eau, je te le jure ! L’être humain que tu es sauverait l’être humain qui va mourir.
– Admettons. Mais comment faire là, maintenant ? Je ne suis pas au bord de l’eau, et personne ne se noie sous mes yeux.
– Alors aide SOS MEDITERRANEE. Donne à ceux qui le font parce que toi-même tu le ferais.
Daniel Pennac
Photo : Daniel Pennac sur l’Aquarius lors d’une de ses premières missions. Crédits : Patrick Bar/SOS MEDITERRANEE
Photo en haut de page : Stefano Belacchi/SOS MEDITERRANEE