En 2006, Laurent Gaudé publie un roman qui a pour toile de fond l’arrivée de personnes exilées en Sicile, Eldorado. En 2018, il signe une Tribune dans Le Monde appelant à « ne pas laisser flotter le pavillon de l’indifférence en Méditerranée », puis préface le beau-livre SOS MEDITERRANEE, l’Odyssée de l’Aquarius. Il participe aussi à deux recueils vendus au profit de l’association, Méditerranée amère frontière en 2019, puis SOS MEDITERRANEE : les écrivains s’engagent en 2022. Toujours là, il souhaite aujourd’hui « lutter pour que notre humanité ne s’émousse pas ». Un texte à lire et à partager d’urgence.
Vous le savez comme moi, les années passent et la Méditerranée continue à être une mer où l’on meurt. Aujourd’hui, il y a deux fronts. Le premier est toujours le même : sauver des vies. Empêcher des hommes, des femmes et des enfants de se noyer. Le second est de lutter contre l’indifférence. Car le temps passe et quelque chose s’installe. Ça continue. Depuis des années. Encore et toujours. Ça continue. Jusqu’au vertige. Ou à la nausée. Et notre écoute s’use malheureusement, notre colère aussi. C’est la victoire vicieuse du malheur. Toute tragédie qui se répète accouche du monstre effrayant de l’indifférence.
En 2005, j’ai écrit un roman intitulé « Eldorado » qui parlait déjà de Lampedusa. Je n’en reviens pas que cela fasse déjà vingt ans. Qu’est-ce qui a changé depuis ? La réalité n’a pas cessé de s’aggraver. Les morts se sont accumulés. Et le risque, aujourd’hui, c’est la lassitude. Le sentiment d’avoir tout dit, tout essayé, tout répété mille fois. Le risque, c’est de se résigner et d’oublier notre indignation.
Il faut lutter pour que notre humanité ne s’émousse pas. C’est ce combat là que nous devons mener. Les équipages de SOS Méditerranée, eux, ne se lassent pas. Ils continuent à se battre. Et nous pouvons les aider. Ils ont besoin d’argent. Ils ont besoin de soutien. C’est cela que nous pouvons leur donner. Dire que nous sommes avec eux. Encore. Prendre notre part du combat. Encore. Tant qu’il y aura des morts.
Il y a cette très belle phrase de Frantz Fanon qui me revient souvent en tête par les temps sombres que nous traversons :
« Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission : la remplir ou la trahir. »
N’en doutons pas, lorsque les générations futures se pencheront sur notre époque, elles nous jugeront sur ce que nous avons fait pour nous opposer à la tragédie en Méditerranée.
Aurons-nous aidé à sauver des vies ?
Aurons-nous été capable de préserver un peu d’humanité au cœur des ténèbres ?
Aurons-nous tenu face au dérèglement politique du monde ? À la violence toujours plus grande dans les discours sur les étrangers ? À la haine de l’autre ?
Nous ne pouvons pas nous lasser.
Il en va de la vie de celles et ceux qui sont en danger de mort.
Il en va de nos sociétés qui sont en danger d’indifférence.
Et de nous tous, qui sommes en danger de perdition.
SOS MEDITERRANEE a besoin de nous. Nous avons besoin de SOS MEDITERRANEE.
Il faut tenir, rester droit, poursuivre.
Et tout faire pour arracher des vies au malheur.
Laurent Gaudé
Laurent Gaudé a pris la plume, mais aussi la parole à maintes reprises pour porter les valeurs et la mission de SOS MEDITERRANEE. À gauche, à l’Institut du Monde Arabe, le 19 décembre 2017, lors de l’événement « Urgence en Méditerranée : spectateurs ou citoyens ? » au profit de SOS MEDITERRANEE (Crédit photo : Anthony Jean /SOS MEDITERRANEE). À droite, le 8 juillet 2019 au Festival d’Avignon aux côtés d’Olivier Py et de Charles Berling (crédit photo Christophe Raynaud de Lage)
En haut de page, Le 15 avril 2019 au Théâtre de l’Odéon pour la soirée de soutien « Tous à bord » (Crédit photo : Virginie de Galzain/SOS MEDITERRANEE)