« Elles chantaient pour retrouver leur dignité », Tess Barthes, photographe à bord
27 février 2024

Que ce soit le lendemain du sauvetage ou à l’annonce du débarquement, les femmes sont souvent celles qui initient des chants pour célébrer le bonheur d’être en vie, au cœur d’un périple qui les a pourtant laissées meurtries et dont l’issue est plus qu’incertaine. Ces moments de joie intenses, Tess Barthes, photographe et vidéaste à bord de l’Ocean Viking en cette fin janvier 2024, les a filmés et nous les raconte.

J’avais passé la journée à recueillir les témoignages de personnes rescapées. Cela faisait plus d’une heure que j’étais enfermée dans la clinique à écouter le récit d’un homme ayant passé huit années terrifiantes en Libye. Petit à petit, une douce rumeur mélodieuse commença à s’immiscer au loin dans mon casque audio.

Dehors, entre la clinique et l’abri des femmes, trois voix harmonieuses de jeunes femmes se rejoignaient pour s’accorder à l’unisson, comme si elles s’étaient toujours connues.

Le dernier témoignage s’acheva sur des questions plus légères. Nous sommes alors enfin sorti.e.s de la clinique, guidé.e.s par les chants. La mer n’avait jamais été aussi calme depuis le début de la mission. Elle miroitait doucement le soleil couchant. Je n’avais qu’une crainte : briser la beauté éphémère de l’instant par ma présence. Je ne pouvais tout simplement pas capturer ce moment avec ma caméra sans rien offrir en retour.

Alors, portée par le chant de ces femmes éthiopiennes avec qui je ne pouvais échanger un mot, j’ai commencé à danser en frappant des mains avec elles. Parfois, j’interrompais ma danse pour filmer, mais toujours avec le même dilemme : capturer le moment ou le vivre avec elles.

Cet équilibre indéfini a tenu le rythme jusqu’à la tombée de la nuit, et ce malgré les appels répétés de l’équipage pour leur servir le diner.

Je n’ai toujours pas compris comment ces femmes ont réussi à puiser une telle force, pour chanter d’une voix si pleine de vie après toutes les atrocités qu’elles ont traversées pendant leur périple. Cet instant partagé, suspendu, m’a fait me rendre compte à quel point chanter dans leur langue était un besoin aussi vital que le reste et un moyen de retrouver leur dignité.

Crédit photo : Tess Barthes / SOS MEDITERRANEE