« Trois marins étaient affairés à ranger les gilets de sauvetage et ce petit bonhomme est venu les aider !»
2 février 2024
Bénévole de la première heure, responsable de l’événementiel, partenariats et mobilisation du comité de soutien pour SOS MEDITERRANEE depuis sept ans, Sabine a participé pour la première fois à une mission à bord de l’Ocean Viking en décembre 2023 aux côtés des équipes de la logistique et de la protection. Elle a été marquée de voir avec quel empressement les personnes rescapées se mobilisent pour participer à l’organisation de la vie à bord… jusqu’au petit Slimane*, qui n’avait pas encore trois ans !

Crédit : Sabine / SOS MEDITERRANEE

Ce qui m’a impressionnée, c’est l’entraide qui régnait à bord. À diverses occasions j’ai vu ces personnes, qui ont traversé tant de souffrances avant leur arrivée sur le pont de l’Ocean Viking, venir spontanément aider l’équipe. En période d’hiver, nous servons tout au long de la journée du thé et du chocolat pour réchauffer les rescapé.e.s sur le pont du navire, nous passons donc beaucoup de temps à faire la vaisselle ! Il y avait toujours quelqu’un prêt à s’interposer pour la faire à ma place, on en profitait alors pour bavarder. Ce sont des moments de partage du quotidien très simples et qui révèlent une situation d’entraide, d’humanité et d’empathie qu’ils et elles n’ont probablement pas vécue depuis des mois.

Hazem*, l’adolescent rayonnant

Je repense à Hazem*, un grand adolescent égyptien voyageant seul mais qui parlait avec tout le monde. Il était dans la première embarcation secourue le 27 décembre vers 1h du matin avec 121 autres personnes. Étant en appui à l’équipe de protection, mon rôle était de distribuer des bracelets numérotés, d’identifier les cas d’hypothermie ou les fortes odeurs de fuel pour les envoyer en priorité à la douche. En l’occurrence, tout le monde sentait très fort le fuel ce jour-là.

Adriaan Cartuyvels, journaliste à bord pour Vice, était sur place et a décrit la situation : « Certaines personnes à bord du bateau en bois s’étaient déjà aspergées d’essence, prêtes à s’immoler si les garde-côtes libyens s’approchaient d’elles. La peur d’être ramené.e.s dans un endroit où les droits humains sont violés [était] tangible. »  Lire son reportage sur le site de Vice 

Je devais aussi leur donner un nécessaire d’affaires propres, les assurer qu’ils étaient à présent en sécurité et leur expliquer où placer leurs vêtements souillés, où ranger leurs maigres effets personnels avant de se diriger vers les douches. Le rythme était très intense.

Vers midi les équipes de sauvetage ont porté secours à une seconde embarcation en détresse et 106 personnes ont de nouveau nécessité une prise en charge rapide sur le navire. Les rescapé.e.s étaient d’origines multiples : Bangladesh, Syrie, Pakistan, Égypte, Éthiopie, Liban, Érythrée Sud Soudan… Mais malgré la barrière de la langue, nous arrivions tout de même à communiquer avec le regard et des gestes simples. Alors qu’elles venaient de frôler la mort et malgré leur épuisement, voir toute une équipe prendre soin d’elles devait signifier beaucoup pour ces personnes.

« Il était à leur place juste quelques heures plus tôt et pouvait à son tour rassurer les nouveaux arrivants, et les guider vers la douche. Sa joie d’être là, dans ce bateau, en vie, était palpable. »

Au bout de quelques minutes, j’ai aperçu Hazem* en train de répéter en arabe ce que je tentais de leur expliquer ! Ce jeune homme avait pris sa place tout naturellement dans la chaîne logistique aux côtés de Bastien le logisticien, comme s’il faisait partie de notre équipe. Il était à leur place juste quelques heures plus tôt et pouvait à son tour rassurer les nouveaux arrivants et les guider vers la douche. Sa joie d’être là, dans ce bateau, en vie, était palpable.

Crédit: Alisha Vaya / SOS MEDITERRANEE
Avec Slimane*, la relève est assurée !

Il est arrivé avec toute sa famille originaire du Liban, sa maman enceinte, son papa et trois frères et sœurs, lors du second sauvetage d’un rafiot en bois surchargé et à double pont. Je revois sans cesse l’image de ces enfants emmitouflés dans leurs blousons d’hiver sous un gilet de sauvetage à l’effigie de la reine des neiges. Une vision ahurissante ! Voir arriver ces enfants trempés, transis de froid, le regard ahuri et interrogatifs, en plein milieu de la Méditerranée, c’est tellement irréel !  

Parmi les plus jeunes, le petit Slimane* et ses longues boucles. Après quelques heures, nous l’avons vu surgir de l’abri réservé aux femmes et aux enfants et gambader comme si de rien n’était ! Il allait voir tou.te.s les rescapé.e.s, il passait de bras en bras, tout le monde s’occupait de lui… Il est devenu la mascotte du bateau.

Charlie, Tanguy et Jérôme étaient affairés à ranger les gilets de sauvetage et ce petit bonhomme est arrivé. Sans crier gare, il a pris un gilet de sauvetage et, imitant leurs gestes, il l’a hissé dans le grand sac et a continué de les aider. Cela a illuminé les visages de nos trois marins-sauveteurs, c’était un moment magique au milieu d’une situation qui ne devrait pas exister.

* Les prénoms de personnes rescapées ont été modifiées pour préserver leur anonymat

Crédit photo en haut de page : Sabine / SOS MEDITERRANEE