Où nos sauvetages ont-ils lieu ? 
4 juin 2024
Depuis mars 2016, nous avons porté secours à plus de 40 000 personnes en Méditerranée centrale, la route migratoire la plus meurtrière au monde. Depuis peu, nous rencontrons des embarcations dans de nouvelles zones. La mortalité, elle, ne fait qu’augmenter. Décryptage. 

Violences, départs et interceptions en Tunisie 

Les opérations de l’Aquarius puis de l’Ocean Viking se sont toujours déroulées dans les eaux internationales, dans les régions de recherche et de sauvetage italienne, maltaise puis libyenne, coordonnées par les autorités maritimes de ces trois pays.  

Jusqu’en 2023, la quasi-totalité des personnes secourues par nos navires tentaient de fuir ce qu’elles nomment « l’enfer libyen ». La majorité des sauvetages se déroulaient donc au large de la Libye. Mais en 2023, avec l’escalade des hostilités envers les personnes d’origine subsaharienne en Tunisie, les ONG de sauvetage ont vu apparaitre de nombreuses embarcations plus au nord, en provenance de ce pays, comme le montre la carte ci-dessus.  

Ainsi, entre le 9 et le 11 août 2023, l’équipe de l’Ocean Viking a mené la plus grande opération de sauvetage du navire à ce jour : en 36 heures d’opération, l’équipe a secouru 623 personnes à bord de 15 embarcations en détresse dans les eaux internationales, dont 14 entre Sfax (Tunisie) et Lampedusa (Italie). 

« J’ai su que nous ne pourrions pas toutes les secourir » 

Dominika 

« Nous avons vu de nombreuses embarcations à l’horizon, nous avons vu le type d’embarcations avec lesquelles les gens essayaient de traverser : des barques en métal improvisées, qui se remplissent d’eau très rapidement, plusieurs sur le point de chavirer… » explique Dominika, responsable de l’équipe médicale. « Les personnes survivantes nous ont dit avoir vu plusieurs corps qui flottaient à la surface de l’eau… »   

Lire l’article Les sept types d’embarcations en détresse 

Crédit photo ; Stefano Belacchi / SOS MEDITERRANEE

En effet, à partir de février 2023, à la suite d’un discours du président Kaïs Saïed visant les migrants d’origine subsaharienne, les attaques racistes, les violences et la discrimination à l’encontre des personnes noires se sont multipliées, faisant pour la première fois de la Tunisie le principal pays de départ en Méditerranée centrale en 20231.  

De nombreux cas de déportation vers des zones isolées et désertiques ont été documentés par le Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations-Unies (UNHCR) entre juillet et septembre 2023. Human Rights Watch2 affirme ainsi que la Tunisie n’est pas un endroit sûr pour les étrangers noirs africains, victimes de « passages à tabac », de « détentions arbitraires », de « vols d’argent et d’effets personnels », de « chocs électriques » et d’« arrestations arbitraires basées sur la couleur de leur peau » de la part des autorités tunisiennes.  

En 2023, l’Ocean Viking est par ailleurs intervenu hors de sa zone habituelle d’opération. Ce fut le cas la nuit du 2 au 3 novembre, lorsque l’équipe, remontant vers le nord pour effectuer un débarquement, a porté secours à un voilier surchargé en mer Ionienne (le point rouge le plus à droite en haut sur la carte) qui était parti de Turquie une semaine avant. Il dérivait depuis plusieurs jours sans eau ni nourriture. Une autre série de sauvetages survenue fin avril à l’ouest de la région de recherche et de sauvetage maltaise a permis de secourir 169 personnes dans un secteur où nous n’étions jamais intervenus auparavant. Si le lieu du sauvetage reste totalement aléatoire, ces embarcations qui dérivent durant des jours sont aussi le symptôme d’un manque de moyens de recherche et de sauvetage flagrant dans cette mer qui s’étend sur des milliers de kilomètres. 

Plus de morts au nord 

En 2023, la Méditerranée centrale a fait 2 476 victimes connues, contre 1 41 7 l’année précédente, sans compter les naufrages invisibles. 2023 a été l’année la plus meurtrière depuis 2017 (OIM). La carte ci-dessous montre bien l’impact de l’augmentation des départs de Tunisie sur la mortalité au large de la ville de Sfax. 

Outre les naufrages d’embarcations au large de la Tunisie, de nombreux refoulements par les garde-côtes libyens et tunisiens vers leur pays respectif ont aussi été enregistrés. Ainsi, 43 394 personnes ont été interceptées par les garde-côtes tunisiens et retournées de force en Tunisie, soit une hausse de 58 % des interceptions par rapport à 20223.  

Tout comme la Libye, la Tunisie a noué des accords avec les États de l’UE qui financent les garde-côtes tunisiens pour intercepter les personnes qui tentent la traversée depuis ce pays. Dans un rapport de juillet 20234, l’ONG Human Rights Watch dénonce pourtant de graves abus commis envers les personnes migrantes, demandeuses d’asile et réfugiées subsahariennes par les forces de sécurité tunisiennes dont des garde-côtes signalés comme « violents et mettant en danger la vie des personnes en détresse en mer » pendant les interceptions et les débarquements. Ces violences exacerbent les risques de noyade pour les naufragé.e.s.  

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