D’où viennent les personnes rescapées ?  
6 juin 2024
En 2023, les personnes secourues par l’Ocean Viking étaient originaires de 38 pays différents. Si les raisons qui les ont poussées sur les dangereuses routes de l’exil sont multiples, elles ont toutes en commun d’avoir pris la mer depuis la Libye ou la Tunisie pour fuir la violence. Qui sont donc ces personnes rescapées ? 

Femmes, hommes ou enfants, les personnes recueillies à bord de l’Ocean Viking ont chacune leur histoire. La fuite de la guerre, d’une famine, de menaces politiques, de violences domestiques – notamment pour les femmes et les jeunes filles qui fuient souvent un mariage forcé ou l’excision de leurs filles – ou encore la recherche d’une vie meilleure sont autant de raisons qui les ont amenées à quitter leur pays. Selon leurs témoignages, elles arrivent en Libye ou en Tunisie, de gré ou de force, soit pour y travailler, soit par l’entremise de trafiquants d’êtres humains, de bandes criminelles ou de groupes armés.  

Nombre d’entre elles souffrent des séquelles physiques et psychologiques de leur séjour dans des centres de détention officiels ou clandestins en Libye où les personnes en situation de migration sont enfermées, dépouillées, torturées, agressées sexuellement, soumises aux travaux forcés et à l’esclavage, voire abattues.  

38 pays d’origine en 2023 

Parmi les 2 299 personnes secourues par l’Ocean Viking en 2023, 231 étaient des femmes (10 %), 665 des mineur.e.s (29 %), dont 75 % non accompagné.e.s, 20 personnes étaient en situation de handicap et 468 personnes voyageaient en famille. Les nationalités les plus représentées étaient la Syrie (324 ressortissant.e.s), le Bangladesh (316), le Soudan (Nord) et la Gambie (167) et enfin la Guinée-Conakry (152). (Ces chiffres ne sont pas forcément représentatifs de l’ensemble des personnes qui tentent la traversée).  

Plusieurs ont quitté un pays en guerre. Comme la Syrie, qui a fait plus de cinq millions de réfugié.e.s, rappelle le HCR, dont de nombreux enfants. Khaled*, 15 ans au moment de son sauvetage en octobre 2023, avec huit autres mineurs non accompagnés, en était à sa huitième tentative de traversée. Lui-même avait été réfugié en Allemagne avant de revenir en Syrie, mais il a dû à nouveau fuir sur les routes. Malgré son parcours chaotique et les souffrances endurées en Libye, il a des rêves plein la tête : « Je veux aller en Allemagne, mon oncle y vit encore, et je veux étudier pour devenir médecin, comme ma mère et mon père. Ensuite, je veux retourner en Syrie. » 

D’autres ont fui la misère. Plus de 7000 km. C’est la distance que Mohamad Anis*, jeune Bangladais de 23 ans secouru en octobre 2023, aurait dû parcourir s’il avait pris l’avion depuis Dhaka au Bangladesh pour se rendre directement à Tripoli, en Libye. C’est l’équivalent d’un vol Paris-Miami. En réalité, son trajet a été beaucoup plus long, plus onéreux et surtout plus dangereux. « Au total, la ‘’traversée’’ m’a coûté 24 000 $ US, ainsi que de nombreux actes de torture. » Comme lui, 315 autres Bangladais ont foulé le pont de l’Ocean Viking en 2023. Plusieurs tentaient de rejoindre la Libye pour y trouver un travail et ainsi faire vivre leur famille. Mais ils y ont plutôt alimenté le juteux trafic d’êtres humains, à leur dépens.  

Si certaines nationalités reviennent année après année, d’autres sont bien plus rares, comme l’Iran ou l’Ouzbékistan, deux nationalités rencontrées pour la première fois par nos équipes en 2023. Marina*, militante pour le droit des femmes en Iran, a été contrainte de fuir son pays précipitamment pour des raisons politiques. « Le gouvernement m’a arrêtée et m’a condamnée à quatre ans de prison et à 75 coups de fouet. J’ai été fouettée et sévèrement battue dans une prison surpeuplée où des centaines de personnes avaient été arrêtées lors des manifestations. »  Avant de monter sur un voilier, son périple à travers l’Iran, l’Irak et la Turquie s’est fait à pied, à cheval, en bus et même dans le coffre d’une voiture.  

Pour Ali* et sa fille Sarah*, originaires d’Afghanistan, c’est aussi le manque d’accès aux droits fondamentaux qui a motivé leur départ : « Après l’arrivée des Talibans, mes filles n’ont plus été autorisées à aller à l’école. Je ne veux pas de différence entre mon fils et mes filles, je veux que mes enfants aillent à l’école. Ma femme n’avait plus le droit de travailler. »  Souvent, pendant le parcours, les familles ou les amis seront séparés.  « Nous avons marché pendant deux semaines dans les montagnes. C’était très dur. Lorsque nous sommes arrivé.e.s en Iran, nous avons été expulsé.e.s vers l’Afghanistan. Nous avons essayé une deuxième fois. Ma femme et mes deux enfants ont été arrêté.e.s et expulsé.e.s à nouveau vers l’Afghanistan. J’ai réussi à partir avec ma fille aînée, Sara*. » 

Orpheline et déjà mère d’une petite fille, Ada* a quitté le Nigeria à 15 ans en raison de l’insécurité. Elle a passé cinq ans en Libye où elle a subi les pires sévices. Secourue en janvier 2023, elle en était à sa quatrième tentative de traversée. « Je pleurais tous les jours là-bas. Ils voulaient une rançon de ma part, mais je n’avais personne à la maison à appeler. Ils ne nous donnaient qu’un morceau de pain par jour et de l’eau salée à boire. (…) Je savais qu’il était très dangereux de monter sur cette embarcation, mais quel autre choix me restait-il ? Je veux être libre ; je veux avoir une vie pour moi, je veux construire un avenir pour ma fille, je ne veux plus être seule. »  

*Les noms ont été changés pour protéger l’identité des personnes rescapées.