Un portrait

Une histoire

Khaled*

Syrie

Pays d'origine

15 ANS

Âge

24/10/2023

Date de sauvetage

« J’étais censé embarquer sur un grand bateau de pêche, qui comptait environ 900 personnes. (…) C’est le bateau qui a coulé à côté de [Pylos en] Grèce. »

 

Le 24 octobre 2023, 29 personnes originaires de la Syrie, du Bangladesh, du Soudan et de l’Égypte ont été secourues d’une barque en fibre de verre en détresse dans les eaux internationales au large de la Libye. Parmi elles se trouvaient neuf mineurs non accompagnés, dont Khaled, qui en était à sa huitième tentative de traversée. Sophie Beau, co-fondatrice et directrice générale de SOS MEDITERRANEE France, qui était à bord lors de cette rotation, a recueilli son témoignage au deuxième jour à bord.

« Je suis originaire de Deraa, en Syrie, et je suis né en 2008. Après le début de la guerre en Syrie, mes parents, mes deux sœurs et moi-même avons pris l’avion pour l’Allemagne, où nous sommes resté.e.s de 2013 à 2016. Mes parents pensaient que la situation en Syrie se serait améliorée après quelques années, et nous avons décidé d’y retourner. 

Mais nous ne pouvons pas vivre à Deraa, la situation est encore très mauvaise à cause de la guerre. De nombreuses personnes sont encore tuées chaque jour. Il n’y a pas d’avenir pour moi dans mon pays. J’ai décidé de quitter la Syrie, bien que mes parents aient d’abord essayé de m’en dissuader. Finalement, ils ont accepté et je suis parti avec mon cousin. Je suis allé en Libye en passant par l’Égypte et je suis arrivé le 28 mars 2023, grâce à l’aide de mes parents qui m’ont donné 1 500 dollars américains. J’ai traversé la frontière libyenne peu après et j’ai dû y rester sept mois. La situation y est vraiment très mauvaise.

 

Crédit photo : Lucile Guernier / SOS MEDITERRANEE

 

J’ai essayé sept fois de fuir la Libye avant que vous ne nous secouriez avec l’Ocean Viking. J’ai d’abord tenté la traversée sur un bateau de pêche, depuis l’est de la Libye, mais les garde-côtes libyens nous ont repoussé.e.s et nous avons été renvoyé.e.s en prison**, car les milices et les trafiquants d’êtres humains sont amis avec les autorités. À un moment donné, mon cousin et moi nous sommes échappés de prison. Alors j’ai fait des travaux de construction et de nettoyage : nous avons été enfermés dans des entrepôts et n’avons reçu qu’une tasse d’eau par jour et un morceau de fromage. Nous devions payer pour obtenir de la nourriture afin de survivre. Nous étions 700 à 800 personnes dans un entrepôt de 20 X 5 mètres, et nous étions forcé.e.s de travailler.

La deuxième fois que j’ai essayé de fuir la Libye, c’était à partir de Tobrouk, en juin. Je devais embarquer sur un gros bateau de pêche, nous étions environ 900 personnes à attendre pour embarquer. Je n’ai pas pu monter à bord parce que nous étions trop nombreux et qu’il n’y avait pas de place pour moi, mais un de mes amis a pu embarquer. Le bateau est parti… c’est le bateau qui a coulé à côté de [Pylos en] Grèce ; mon ami est mort dans ce naufrage. 

J’ai essayé plusieurs autres fois de traverser la mer, mais sans succès. La dernière fois, avant que vous ne veniez à notre secours, j’ai essayé de traverser depuis Syrte et nous sommes presque arrivé.e.s à Malte, mais nous avons été repoussé.e.s par les garde-côtes libyens qui nous ont ramenés à Tripoli, et j’ai perdu mon passeport à ce moment-là. Le passeur m’a dit que je devrais attendre quinze jours avant de pouvoir réessayer. Mais finalement, il m’a réveillé en pleine nuit et nous a emmené.e.s sur le rivage à Zuwara avec de nombreuses personnes de Syrie. Nous sommes partis vers 7h ou 8h du matin. Nous étions sur un petit bateau et nous avons vu un avion nous survoler. Finalement, nous avons vu votre navire et vous nous avez secouru.e.s.

Je veux aller en Allemagne, mon oncle y vit encore, et je veux étudier pour devenir médecin, comme ma mère et mon père Ensuite, je veux retourner en Syrie.»

Le port sûr désigné par les autorités italiennes était celui de Ravenne, situé au Nord des côtes adriatiques de l’Italie, où les rescapés ont pu débarquer le 30 octobre. Khaled devait ensuite rejoindre un centre spécialisé dans l’accueil des mineurs non accompagnés.

“ Pendant les six jours de navigation nécessaires pour atteindre Ravenne, nous avons vu la majorité des personnes rescapées faire preuve d’une incroyable résilience : ils sortaient littéralement de l’enfer et revenaient progressivement à la vie, d’une manière spectaculaire. A l’inverse, il était frappant d’observer la détérioration psychique de Khaled”, se souvient Sophie Beau. “Plutôt expressif et enjoué à son arrivée sur le bateau, nous l’avons vu progressivement s’enfermer dans ses souvenirs traumatiques, les yeux rivés sur son téléphone, qui contenait des photos et vidéos de toutes les étapes de son voyage. Il était aspiré par les images du passé, s’isolait des autres, ne dormait plus, mangeait avec difficulté, faisait de brèves allusions à la Syrie et surtout, à la Libye… Nos équipes lui ont donné beaucoup d’attention jusqu’à l’arrivée à Ravenne où il a été pris en charge par les autorités italiennes. Nous avons tous été extrêmement touchés par ce jeune. Relié à son portable comme à un fil de vie, comme beaucoup d’ados, Khaled avait déjà subi des épreuves d’une dureté inimaginable pour son âge”.

 

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Témoignage recueilli par Sophie Beau et traduit par Sana, animatrice culturelle, de l’arabe à l’anglais.

* Le prénom a été changé pour protéger l’identité de ce jeune rescapé

** Les personnes rescapées nomment « prisons » les centres de détention en Libye

 

 

Photo haut de page : Ville Maali

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