« Tu te noies ? Sors ton passeport » – Un texte de Maylis de Kerangal, écrivaine 
18 décembre 2025
À l’occasion de la Journée internationale des migrants, ce 18 décembrenous donnons à lire un texte de Maylis de Kerangal, écrivaine et membre du Comité de soutien, qui accompagne depuis longtemps SOS MEDITERRANEE. Engagée aux côtés de l’association dans de nombreuses initiatives, notamment sa participation au recueil caritatif paru chez Folio en 2022 : SOS Méditerranée : Les écrivains s’engagent, elle demeure « toujours là », pour rappeler l’urgence d’agir, de ne pas détourner le regard face à ceux et celles qui se noient en mer. Un texte à lire et à partager sans modération. 

Chères amies, chers amis,  

SOS. Nous connaissons tous ce signal de détresse.  

Nous connaissons tous ce code, sonore ou lumineux, adopté il y aura bientôt cent vingt ans parce qu’il était simple à reconnaître, facile à exécuter, impossible à confondre avec un autre, mis au point pour que tous les marins sur toutes les mers du monde puissent le comprendre et se dérouter pour sauver ceux qui font naufrage.   

   

SOS. Save Our Ship, sauvez notre bateau ! 

Cela fait dix ans que SOS MEDITERRANEE porte secours à ceux que la guerre, les catastrophes naturelles, les persécutions, la pauvreté, la faim ou le désir légitime d’une vie meilleure conduisent à embarquer sur des bateaux de fortune, et à prendre la route de la Méditerranée centrale, parmi les plus meurtrières au monde, afin de rallier les portes de l’Europe.   

Cela fait dix ans que son bateau — l’Aquarius puis l’Ocean Viking — appareille pour porter assistance aux naufragés et que ses équipages témoignent de la tragédie qui transforme sous nos yeux la Méditerranée en un cimetière sans nom et sans sépulture, en fosse commune où disparaissent des êtres, des mémoires, des vies — 32 000 vies.   

Dix ans que SOS MEDITERRANEE agit, malgré la violence des Etats européens, la surenchère xénophobe, la bêtise nationaliste, le durcissement des lois migratoires, la dénaturation du langage ; malgré les attaques contre l’état de droit, la remise en cause des lois ancestrales de la solidarité en mer, la mise à mal de l’inconditionnalité des sauvetages — tu te noies ? sors ton passeport —, malgré la difficulté à trouver des ports sûrs où débarquer les rescapés. Malgré les tirs à balles réelles des garde-côtes libyens qui ont visé l’Ocean Viking le 24 août 2025, alors qu’il était dans les eaux internationales.  

SOS. Save Our Souls, sauvez nos âmes ! 

Dix ans que SOS MEDITERRANEE se déroute vers ces âmes qui se noient — 42 700 vies sauvées.  

Or, ces âmes, j’ai le sentiment que ce sont aussi les nôtres.   

En se déroutant inlassablement pour se porter vers ces personnes en détresse, c’est bien notre humanité — c’est-à-dire, pour moi, notre « âme » — que SOS MEDITERRANEE œuvre à sauver, c’est nous qu’elle relève, et avec nous cette part d’humanité qui nous reste, qui résiste et rappelle : « ici, il y a des humains ! ».   

Déroutons-nous, sortons de nos trajectoires, décalons-nous de nos axes, infléchissons nos chemins et portons notre regard et nos bras vers ces vies humaines invisibles qui se noient en silence.   

Déroutons-nous : portons-nous aux côtés de SOS MEDITERRANEE !  

Soutenons son action !  

   

Maylis de Kerangal  

  

Crédits : Alexia Arrizabalaga-Burns & Tess Barthes / SOS MEDITERRANEE  

Contenu | Menu | Bouton d