« Des visages émergeaient de l’obscurité de temps en temps, des regards effrayés qui nous fixaient, et puis plus rien. »
16 janvier 2023

Crédits : Camille Martin Juan / SOS MEDITERRANEE
La photographe Camille Martin Juan était à bord d’un canot de sauvetage de SOS MEDITERRANEE dans la nuit du 25 octobre 2022, lorsque 56 personnes ont été évacuées d’une embarcation à la dérive. Surchargée et en mauvais état, elle avait été retrouvée à 36 milles nautiques au large de Lampedusa par nos équipes, avec deux femmes et près de 30 mineur.e.s non accompagné.e.s à bord. Ce sauvetage était le cinquième d’une série de six effectués en quelques jours d’embarcations en détresses parties de Libye, un pays en proie aux violences et au chaos.

« Nous les avons cherché.e.s pendant longtemps cette nuit-là. Le ciel était constellé d’étoiles, et je ne me souviens pas de la dernière fois où j’ai vu une nuit aussi belle. Mais la mer, elle, était sombre, d’un noir profond et intense. Nous savions que nous étions à la recherche d’un bateau en bois avec environ cinquante personnes à bord. L’un des chefs d’équipe de notre canot de sauvetage rapide envoyait des signaux lumineux avec sa torche, espérant une réponse, espérant une lumière, mais la seule chose que nous pouvions voir, c’était des milliers d’étoiles.

En suivant le cap donné par l’Ocean Viking et après une longue recherche dans l’obscurité, nous les avons finalement trouvé.e.s. Mais même lorsque nous en étions proches, je n’ai jamais réussi à voir le bateau en entier. Je n’en voyais que certaines parties, lorsque la lampe de poche de notre chef d’équipe l’éclairait ici et là. Des visages émergeaient de l’obscurité de temps en temps, des regards effrayés qui nous fixaient, et puis plus rien, puis la proue du bateau, le bruit de l’eau contre le bois. Je n’ai jamais pu voir la situation dans son ensemble.

Que pouvez-vous faire, en tant que photographe, lorsque vous êtes privé.e de la vue ? Je me suis dit que je devais profiter des torches utilisées par nos deux bateaux de sauvetage rapides alors en mer pour éclairer la scène. Cela signifie qu’il faut attendre et tirer le meilleur parti des quelques secondes où l’on peut voir quelque chose. La lumière provenant de l’autre bateau de sauvetage rapide, qui était devant moi, m’a permis de mettre en évidence les silhouettes des personnes dans le bateau malgré la nuit. Cette photographie représente le peu que j’ai vu de ce sauvetage, mais aussi comment les 56 personnes à bord de ce petit bateau étaient perdues dans l’obscurité avant que nous les trouvions, ressemblant presque à des étoiles dans le ciel. »