« Pas d’embarcation, pas d’épave, pas de débris, pas de corps. »
29 août 2023
« Comment un bateau transportant 500 personnes peut-il disparaître en pleine mer Méditerranée ? » C’est la question lancinante que se posait Camille Martin, photographe à bord de l’Ocean Viking, en ce 23 mai 2023.

Le 23 mai, nous avons reçu un signalement de l’ONG Alarm Phone à propos d’un bateau de pêche surchargé, avec environ 500 personnes à bord. Selon Alarm Phone, le bateau coulait lentement et les personnes commençaient à paniquer. Parmi elles, des dizaines d’enfants ainsi que des femmes enceintes. L’embarcation dérivait dans la Région de recherche et de sauvetage maltaise lorsque son moteur s’est arrêté. Quand nous avons reçu l’alerte, nous étions à environ 36 heures de navigation et aucun navire de sauvetage n’était dans cette zone, nous avons donc décidé de nous diriger vers sa position, tout comme le navire de sauvetage Life Support, de l’ONG Emergency. Nous espérions que les personnes naufragées seraient secourues avant notre arrivée, car ils se trouvaient à proximité d’une route commerciale très fréquentée.

Mais personne ne les a secourues. Lorsque nous sommes arrivé.e.s à proximité de leur dernière position connue, Alarm Phone avait perdu contact avec l’embarcation depuis plus de 24 heures.  Dès que le Life Support est arrivé sur zone – 10 heures avant nous – son équipe a effectué des recherches, de nuit, mais n’a pas trouvé l’embarcation. Les avions Colibri et Seabird, des ONG Pilotes volontaire et Sea Watch, ont survolé la zone mais n’ont rien repéré non plus. Pas d’embarcation, pas d’épave, pas de débris, pas de corps. La question que chacun.e se posait : « Que leur est-il arrivé ? » Comment un bateau transportant 500 personnes peut-il disparaître en pleine mer Méditerranée ?

J’ai ressenti une grande douleur au fond de moi, de ne pas savoir ce qui avait pu leur arriver.

Lorsque nous sommes arrivé.e.s à proximité de leur dernière position connue, nous avons commencé, en coordination avec les équipes du Life Support, à effectuer des recherches. Une double veille aux jumelles a été activée afin d’observer chaque centimètre de mer autour de nous. En parallèle, sur la passerelle, notre coordinateur de recherche et de sauvetage était au téléphone avec les autres organisations humanitaires impliquées dans les recherches et les autorités maritimes maltaise et italienne. Cette phase de recherche aux jumelles est cruciale, même dans le cadre d’une opération régulière. Car même si nous disposons de radars et d’informations provenant des avions ou d’Alarm Phone, c’est toujours de nos propres yeux que nous repérons une embarcation avant de pouvoir procéder au sauvetage. Il ne nous est pas permis de manquer un seul recoin de la mer, sous peine de passer à côté des personnes en détresse. Nous devons être concentré.e.s, calmes et méthodiques. C’est une partie essentielle du travail, car avant le « sauvetage », il y a la « recherche ».

Ce jour-là, nos yeux étaient leur dernière chance d’être vu.e.s. Mais ce jour-là, les recherches ont été vaines. Nous ne les avons jamais retrouvé.e.s et nous n’avons jamais trouvé d’épave non plus. J’ai ressenti une grande douleur au fond de moi, de ne pas savoir ce qui avait pu leur arriver.

Dans les jours qui ont suivi cette recherche, nous avons appris que le bateau avait été refoulé vers la Libye avant que nous n’arrivions dans la zone. Selon l’OIM et le HCR, les personnes ont été ramenées à Benghazi par un navire appartenant à l’Armée nationale libyenne, une force présente dans l’est du pays et dirigée par le chef militaire Khalifa Haftar.


Texte: Camille Martin-Juan

Crédits photos: Camille Martin-Juan / SOS MEDITERRANEE