Commémoration du naufrage de Lampedusa : « Combien d’encre devra encore couler avant qu’une opération européenne de recherche et de sauvetage ne soit rétablie ? » Lisa, marin-sauveteuse
3 octobre 2021

[AVERTISSEMENT] Ce texte décrit un naufrage ayant causé des morts

Dans la nuit du 3 octobre 2013, au moins 366 personnes fuyant la Libye à bord d’une embarcation en bois surpeuplée se sont noyées près des côtes de l’île italienne de Lampedusa.

En réponse à cette tragédie, la marine italienne a lancé l’opération de recherche et de sauvetage Mare Nostrum le 18 octobre 2013, avec comme objectif la sauvegarde de la vie humaine en Méditerranée centrale. L’opération a été menée dans le plein respect du devoir de « prêter assistance à toute personne trouvée en péril en mer » (CNUDM art. 98). En conséquence, plus de 150 000 vies ont été sauvées. Mais le 31 octobre 2014, l’Italie a mis fin à l’opération en raison du manque de soutien de l’Union européenne. Mare Nostrum a été remplacée par l’opération européenne de contrôle des frontières « Triton ». La priorité est passée du sauvetage des vies au contrôle des frontières. Le nombre de navires de sauvetage a diminué, mais les gens ont continué à essayer de fuir la Libye. Des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants ont péri en mer. Lisa, sauveteuse sicilienne à bord de l’Ocean Viking, s’interroge : combien d’encre devra encore couler avant qu’une opération européenne de recherche et de sauvetage ne soit rétablie ? Je m’appelle Lisa, j’ai 28 ans. Je suis originaire de Sicile, et je suis marin-sauveteuse en mer. Mon pays est entouré d’une belle mer étincelante. Pour certain.e.s, la mer est synonyme de liberté et de joie. Pour d’autres, c’est une nuit sombre qui jamais ne verra un nouveau jour. Pendant trop longtemps, j’ai entendu des histoires d’embarcations transportant des personnes qui sombraient en mer. Ces histoires me semblaient si éloignées de ma réalité, même si elles se déroulaient à quelques kilomètres de chez moi. Soudain, elles sont devenues réelles lorsque j’ai constaté les conséquences d’un naufrage qui a causé environ 130 morts. La vue de tous ces corps flottant dans les vagues, maintenus à flot par des chambres à air usées, a changé à jamais ma façon de voir la mer. C’est quelque chose que je n’oublierai jamais. Non seulement la vue des cadavres, mais aussi le sentiment d’impuissance : le fait de savoir que des gens continuent de mourir en mer, et que la situation en Méditerranée centrale n’a fait qu’empirer depuis le tragique naufrage au large de Lampedusa, il y a 8 ans, où près de 400 personnes avaient perdu la vie. Combien de mots devront encore être prononcés ? Combien d’encre devra couler au sujet des enfants, des femmes et des hommes pris.e.s au piège en Libye, battu.e.s à de multiples reprises, victimes de violences physiques et sexuelles et retenu.e.s arbitrairement en captivité ? Combien de rapports seront encore publiés sur celles et ceux qui meurent en Méditerranée centrale en tentant d’échapper à des souffrances et à des brutalités que nous, Européen.ne.s, ne pouvons même pas imaginer ? Face à d’innombrables épreuves, certain.e.s ont trouvé le courage d’espérer et de fuir, pour ensuite s’éteindre comme des étoiles filantes. Que leur courage soit notre devoir d’agir, et d’appeler les États européens à rétablir une mission européenne de recherche et de sauvetage en Méditerranée centrale.
Photos : Flavio Gasperini / SOS MEDITERRANEE
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