Le retour à la vie… à bord 
5 février 2024
Après avoir traversé les pires épreuves sur terre puis en mer, les personnes secourues par l’Ocean Viking reviennent peu à peu à la vie à travers des activités aussi simples que prendre une douche, se préparer un repas, faire sa lessive, jouer aux échecs, apprendre des rudiments d’Italien ou se couper les cheveux. Tous ces petits moments du quotidien qui font de nous des êtres humains.

« Être témoin de la transformation progressive de ces personnes terrifiées et traumatisées, au regard hagard au moment de leur sauvetage, en des individus pleins de vie est quelque chose de spectaculaire, de lumineux ! » 

Sophie Beau, directrice et fondatrice de SOS MEDITERRANEE France

Les femmes, les hommes et les enfants que l’on secourt en mer ont traversé les pires épreuves et souvent frôlé la mort de près. En Libye notamment, presque toutes ces personnes, même les plus jeunes, ont subi des mauvais traitements répétés (viols, torture, travail forcé, extorsion d’argent…). En mer, sur des embarcations de fortune, parfois pendant plusieurs jours sans pouvoir bouger ni boire ou manger, la traversée les laisse épuisé.e.s physiquement et psychologiquement. Traitées pour la première fois depuis longtemps avec humanité, les personnes rescapées reprennent vie lors de leur séjour sur le navire. « Être témoin de la transformation progressive de ces personnes terrifiées et traumatisées, au regard hagard au moment de leur sauvetage, en des individus pleins de vie est quelque chose de spectaculaire, de lumineux !  On dirait des ombres traversant le Styx et revenant à la vie… et c’est exactement cela en fait, un retour de l’enfer », témoigne Sophie Beau, directrice et co-fondatrice de SOS MEDITERRANEE.

Sophie Beau, directrice et co-fondatrice de SOS MEDITERRANEE, en mission en octobre 2023.
Crédit photo : Giannis Skenderoglou / SOS MEDITERRANEE

L’obligation de débarquer dans des ports éloignés de la région de sauvetage, imposée par les autorités italiennes depuis plus d’un an, amène l’Ocean Viking à rester plusieurs jours en mer, ce qui peut paraître interminable pour des personnes qui viennent de vivre des épreuves aussi douloureuses. Mais c’est aussi une parenthèse en sécurité durant laquelle « on voit les personnes rescapées revenir à la vie » souligne Sophie Beau. Elle cite parmi les activités les plus populaires le « salon de coiffure », qui redonne dignité et humanité aux personnes rescapées : « chaque personne qui se fait couper les cheveux en ressort comme allégée, comme si elle se libérait du poids terrible de tant de souffrances endurées en Libye. C’est une véritable transformation, ça leur redonne figure humaine ».

Le « salon de coiffure », pour et par les personnes rescapées, est l’une des activités les plus prisées à bord.  
Crédit photo : Sophie Beau / SOS MEDITERRANEE

Elle se rappelle ainsi le jeune Bilal*, 11 ans, accompagné de son grand frère de 17 ans. La fratrie avait fui la guerre en Syrie et traversé de terribles épreuves en Libye, dont aucun des deux ne pouvait parler. « Le jeune garçon était terrorisé en arrivant sur l’Ocean Viking, mais il a vite retrouvé le sourire. Son grand frère cependant a parcouru le chemin inverse : très ouvert à son arrivée, il s’est peu à peu renfermé dans la tristesse et le mutisme. Je l’ai vu rire une seule fois, quand son petit frère éclatait de rire en faisant la course de kangourou sur le pont. »

Pour la plupart des rescapé.e.s néanmoins, le simple accomplissement de gestes du quotidien et le fait d’être traité avec empathie et bienveillance les ramène à leur humanité et à une forme d’espoir.

Après les urgences, la vie reprend son cours.

La première journée à bord est consacrée à la prise en charge des urgences et des besoins vitaux. (Voir encadré ci-dessous) Puis, chaque jour, les équipes proposent des activités nouvelles.

Préparation du riz « comme au pays », nettoyage du pont, lessive, leçons pour apprendre des rudiments d’italien avec la médiatrice culturelle, dessin et coloriages pour les plus jeunes, concours d’échecs, musique, danse…  Alors que les personnes secourues récupèrent des forces, des membres de l’équipese réunissent le soir venu pour établir le programme du lendemain en fonction de la météo, du nombre de personnes, de la présence de femmes et d’enfants, etc.  

Cette « parenthèse d’humanité en sécurité » passée ensemble, sur quelques mètres carrés en pleine mer, crée des liens très forts entre les équipes et les personnes secourues. Les au revoirs sont d’autant plus difficiles au moment du débarquement mais « l’alchimie humaine qui s’est opérée à bord du navire ne peut être que bénéfique à toutes les personnes qui l’ont vécue, nous y compris » conclut Sophie Beau.

Les huit étapes de la première journée à bord.

  1. Urgences – À leur arrivée sur l’Ocean Viking, les personnes rescapées sont épuisées, parfois en état de choc et pour certaines, blessées ou souffrantes et dans certains cas, inconscientes. Les cas les plus urgents sont immédiatement pris en charge par l’équipe médicale.
  2. Enregistrement – Les naufragé.e.s sont enregistré.e.s par nos équipes, pour connaître la composition du groupe et identifier les personnes les plus vulnérables, notamment les moins de 18 ans. On note le pays d’origine, le genre et la classe d’âge mais on ne consigne jamais le nom des personnes.
  3. Kit de bienvenue – Au moment de l’enregistrement, on leur remet une trousse de bienvenue qui comprend des vêtements secs, de l’eau et de la nourriture, une couverture et quelques objets d’hygiène personnelle. Pour les enfants, on essaie de leur donner des vêtements à leur taille.
  4. Douche – Les personnes secourues se rendent ensuite aux toilettes et aux douches (dans des blocs sanitaires séparés pour les hommes et les femmes) afin d’enlever le mélange d’eau salée et de fioul, très corrosif pour la peau. Les cas de brûlures cutanées graves sont fréquents et seront soignés à la clinique. Une fontaine d’eau potable est à leur disposition.
  5. Repas chaud – Les urgences traitées, la distribution d’une boisson chaude (l’hiver) et de nourriture peut commencer…  
  6. Discours de bienvenue – C’est l’équipe de protection de la FICR (Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge), notre partenaire à bord, qui prend alors la parole et traduit ce discours d’accueil en plusieurs langues. Fonctionnement de la vie à bord, présentation des équipes, explications sur les dispositifs administratifs à l’arrivée en Europe font partie des informations dispensées.
  7. Message aux proches – La FICR recueille le numéro de téléphone d’un.e proche de chaque personne rescapée qu’elle désire avertir qu’elle est toujours en vie et a été secourue. Ce dispositif appelé SALAMAT est pris en charge par la Croix-Rouge ou le Croissant-Rouge du pays de résidence du proche contacté, qui se charge de lui envoyer le message.
  8. Repos – Les personnes secourues s’écroulent de fatigue et dorment plusieurs heures, voire jusqu’au lendemain. Si les jeunes enfants ne dorment pas, l’équipe veille sur eux pendant que la maman ou les personnes les accompagnant se reposent.

Le beau temps permet de faire la lessive des vêtements qu’on portait à son arrivée à bord et qui sont récupérables. Il s’agit souvent de la seule possession des personnes secourues, la plupart arrivant pieds nus.  
Crédit photo :Sophie Beau / SOS MEDITERRANEE


Crédits vidéo

  • Musique : Serge Pavkin Musix / A long way / Pixabay
  • Images : Michael Bunel, Camille Martin Juan, Jérémie Lusseau, Claire Juchat, Lucille Guenier, Sophie Beau / SOS MEDITERRANEE

Crédit photo en haut de page : Jérémie Lusseau / SOS MEDITERRANEE

* Les noms des personnes rescapées sont modifiés pour préserver leur anonymat

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