Le 29 janvier 2024, alors que se levait la mer, l’Ocean Viking a secouru 71 personnes en détresse au large de la Libye, à bord d’une embarcation pneumatique surchargée qui prenait l’eau. Parmi elles, cinq femmes (dont une enceinte) et 16 mineur.e.s non accompagné.e.s. Mary* faisait partie de cette équipée. Elle raconte, dans une vidéo, son parcours difficile mais empreint d’espoir.
Je m’appelle Mary. Je suis d’origine érythréenne, j’ai grandi au Tigré. J’ai 20 ans. J’ai quitté le Tigré pour le Soudan il y a trois ans pour fuir la guerre. Du Soudan, j’ai voulu me rendre en Libye pour travailler, car les conditions de vie étaient difficiles à Khartoum. J’ai dû quitter le camp où nous vivions : il y a eu des expulsions et à ce moment-là, on n’a pas eu d’autre choix que de partir pour aller en Libye. J’ai donc quitté Khartoum pour m’y rendre.
Je n’étais pas avec ma famille, j’étais avec mes ami.e.s. Ma famille était complètement dispersée. Il n’y avait aucune possibilité d’être ensemble.
Comme les autres, j’ai dû traverser le Sahara. Le Sahara, comme chacun sait, est une véritable épreuve. Lorsque quelqu’un meurt, tu es affecté.e, mais tu dois continuer avec les autres. Je suis restée dans le Sahara pendant huit mois.
Quand je suis arrivée à Tripoli [en Libye], je me suis enregistrée auprès du Haut-Commissariat des Nations-unies pour les réfugiés (HCR), mais rien ne s’est passé, ça n’a pas marché. Je suis allée plusieurs fois au HCR, et quand je me suis rendu compte que c’était sans espoir, j’ai pris la mer. Mais nous avons été intercepté.e.s, et j’ai été jetée en prison**.
Quand le gardien a découvert que nous étions malades, il nous a dit d’aller à Tripoli, en s’adressant uniquement aux femmes. Les « policiers » ont accepté et, lorsque le gardien est parti, ils ont prétendu qu’ils nous emmenaient à Tripoli, mais nous avons été enlevées et enfermées dans une maison. Après, ils nous ont demandé de l’argent.
J’ai essayé de traverser la mer à quatre reprises. J’y suis arrivée la quatrième fois. J’ai été interceptée trois fois et chaque fois, on m’a conduite en prison**. [Les garde-côtes libyens] ne se souciaient pas de la sécurité des personnes qu’ils arrêtaient en mer. Ils s’en fichent que vous chaviriez et que vous vous noyiez. Ils ne s’occupent que des survivant.e.s. Ils n’essaient jamais de secourir quelqu’un [qui se noie]. Ils vous disent de mourir et ils s’en vont.
Lorsque « la police » est arrivée, nous avons pris peur. Le bateau était déséquilibré, un homme est tombé à la mer. Mais Ils ne se sont pas souciés de ce qui se passait. Quand nous avons essayé de nous échapper, ils ont tiré des coups de feu sur les boudins pneumatiques de notre embarcation pour nous attraper.
« Mon amie, qui était avec moi sur l’embarcation, est morte. Après sa mort, j’ai de nouveau attrapé la tuberculose. Il n’y avait pas de traitement ou quoi que ce soit [dans les centres de détention]. Mon amie est tombée malade et elle est morte. »
Les conditions de détention sont encore plus difficiles quand on se fait intercepter en mer et emprisonner. Ma première arrestation a été très difficile. Mon amie, qui était avec moi sur l’embarcation, est morte. Après sa mort, j’ai de nouveau attrapé la tuberculose. Il n’y avait pas de traitement ou quoi que ce soit [dans les centres de détention]. Mon amie est tombée malade et est morte.
Elle avait commencé à être malade pendant que nous étions dans le hangar. Il fait très froid quand on prend la mer, parce que vos vêtements sont tout mouillés. Il faisait très froid. Ils nous avaient arrêté.e.s au bout de quatre heures passées en mer. Puis nous avons passé toute la nuit en mer. Parce qu’ils voulaient nous emmener dans la prison pendant la journée. Il faisait vraiment froid la nuit en mer. Elle n’a pas pu rester en vie longtemps, à cause du froid et de la maladie. Puis une fois en prison, elle est morte tout de suite.
[Au moment où j’ai été secourue], j’étais en Libye depuis deux ans et huit mois.
Je n’écrivais pas de la poésie lorsque j’étais en prison**, mais un journal intime. Il est là, mais il a été mouillé. Je voudrais que mon père et moi puissions le lire ensemble un jour.
Je me demande s’il ressent toutes les difficultés que je traverse. Mon père me considère toujours comme une enfant. Je veux lui lire pour qu’il sache que j’ai surmonté toutes ces épreuves. Il y a tellement de risques quand on monte [sur ces embarcations] pour traverser la mer. Rien n’est sans danger. Mais personne n’y pense. Nous pensons seulement à ne pas nous faire arrêter par [les garde-côtes]. Nous ne nous préoccupons pas de l’accident qui pourrait se produire en mer. Plus que de la mort, on a peur de se faire arrêter par « la police ». C’est ce que j’ai toujours pensé. Je n’avais pas peur de la mort.
Quand la [garde côtière] arrive, ce que je ressens est pire. Je pense toujours à comment je peux porter la voix pour toutes celles et ceux qui sont resté.e.s en Libye. Maintenant, je suis très heureuse d’avoir l’occasion de dire [ce qui s’y passe]. Mais je suis très triste pour les gens qui sont là. Je me demande toujours comment je peux être leur porte-parole.
Pour en savoir plus sur le sauvetage de Mary, lire le récapitulatif de cette mission
* Le prénom a été changé pour préserver l’anonymat de la rescapée.
** Le mot « prison » est habituellement utilisé par les personnes que nous secourons pour désigner les centres de détention en Libye, qu’ils soient officiels ou clandestins.
Crédit photo : Tess Barthes / SOS MEDITERRANEE
Crédit vidéo : Flavio Gasperini / SOS MEDITERRANEE