Le froid leur mordait la peau en ce début janvier 2025. Alors que l’embarcation où s’entassaient 101 femmes, hommes et enfants était soumise à la fureur de la mer, l’Ocean viking l’a repérée à la jumelle et secourue. John* était à bord. L’adolescent raconte son interception violente deux ans auparavant, lors de laquelle il a vu les garde-côtes libyens tirer des coups de feu alors que l’Ocean Viking s’apprêtait à le secourir.
Lors de sa première tentative de traversée de la Méditerranée, le 25 mars 2023, John était à bord d’une embarcation pneumatique au large des côtes libyennes, dans la même région de recherche et de sauvetage où nous l’avons trouvé. Alors que l’Ocean Viking s’approchait pour venir en aide aux personnes en détresse, les garde-côtes libyens ont violemment intercepté l’embarcation, tirant des coups de feu en l’air, à proximité de l’Ocean Viking. Cette scène a été documentée par notre équipe et par le cinéaste et journaliste d’investigation Jean-Baptiste Bonnet dans son documentaire Save our Souls.¹
John a raconté cet épisode difficile à nos équipes, fournissant un récit de première main qui met en lumière les violations des droits humains en Libye et la collusion entre les garde-côtes libyens et les centres de détention, y compris celui où il a été détenu. Son témoignage corrobore les conclusions du rapport des Nations Unies sur la Libye et celles du journaliste.
J’étais sur une embarcation pneumatique avec des femmes, des hommes et des enfants, environ 80 personnes au total. Nous avons vu l’Ocean Viking venir vers nous pour nous sauver, mais les garde-côtes libyens sont arrivés et ont commencé à tirer. L’Ocean Viking s’est alors éloigné. Les garde-côtes libyens nous ont fait monter sur leur navire et nous ont tous battus.
J’ai été jeté dans une prison** de Tripoli appelée Ain Zara, où je suis resté pendant des semaines avant de pouvoir sortir. Ma famille a dû payer 1200 dollars pour ma libération. En prison, j’ai été torturé et battu.
John montre les marques de torture sur son corps.
Il y a des milliers de personnes enfermées là-bas : Ain Zara comporte cinq différentes enceintes. Lorsque j’ai été libéré, j’ai continué à travailler en Libye dans le secteur de la construction pour survivre.
Il montre des photos de son travail en Libye sur son téléphone.
Après cinq tentatives pour fuir la Libye, l’Ocean Viking m’a finalement secouru.
Lire le récapitulatif de cette mission de sauvetage du 10 janvier 2025
Témoignage recueilli par Lucille Guenier – Photo : Jérémie Lusseau/SOS MEDITERRANEE
¹ Nous avons publié un reportage vidéo approfondi sur cet incident et sur la violence et l’exploitation subies par les personnes interceptées et renvoyées illégalement en Libye. Voir également notre communiqué de presse et ce reportage de France24 pour plus d’informations et des enregistrements vidéo de l’incident.
* Le prénom du rescapé a été modifié pour préserver son identité
** Le terme « prison » est utilisé par la plupart des personnes rescapées pour désigner les centres de détention, qu’ils soient officiels ou clandestins.