« Nous n’avions aucune idée du temps écoulé ni du nombre de sauvetages effectués. » Amine, médiateur culturel
8 janvier 2024
Amine est médiateur culturel à bord de l’Ocean Viking, il est le premier contact avec les personnes secourues en mer. Il raconte la série de sauvetages historique les 10 et 11 août 2023, durant laquelle 623 personnes ont été secourues de 15 embarcations en détresse.

Je m’appelle Amine, je fais partie de l’équipe de recherche et de sauvetage. Je suis également médiateur culturel et traducteur à bord des canots de sauvetage (RHIB). C’est moi qui établis le premier contact avec les personnes rescapées pour leur expliquer que nous sommes là pour les aider ainsi que la manière dont nous allons procéder.

En début de soirée, avant que les 14 sauvetages* ne s’enchaînent, nous avons eu le pressentiment que la nuit allait être longue. Lorsque nous avons reçu un appel de détresse, nous étions déjà prêt.e.s à embarquer sur les RHIB.

[NDLR : le 10 août 2023, les équipes à bord de l’Ocean Viking portent secours à 55 personnes d’une barque en fibre de verre surchargée puis font route vers le nord. Mais arrivées à hauteur de la Tunisie, l’horizon est parsemé d’embarcations en détresse. Avec l’opération de la veille, ce sont donc 15 embarcations qui seront secourues en tout.]

Mon équipe et moi avons repéré une lumière qui ressemblait à une embarcation en détresse. Nous ne savions pas que cela allait être le début de nombreux sauvetages. Nous avons dû faire plusieurs trajets pour ramener toutes les personnes rescapées à bord de l’Ocean Viking.

De retour sur le navire, nous avons dû repartir pour un autre sauvetage durant lequel deux embarcations en détresse avaient été stabilisées par le voilier Nadir. En effet, son équipage avait déjà distribué des gilets de sauvetage aux personnes en détresse.

La plus grande opération de sauvetage jamais réalisée par l’Ocean Viking. Après 48 heures d’opérations en mer, nos équipes ont effectué un 15ème et dernier sauvetage. Crédit : Camille Martin Juan / SOS MEDITERRANEE

Une fois ces premiers sauvetages terminés, une opération en a entraîné une autre, et lorsque le soleil a commencé à se lever, des embarcations en détresse continuaient d’apparaître à l’horizon. Je devais me concentrer sur ce que je faisais, j’ai complètement perdu la notion du temps. Chaque fois que nous débarquions des rescapé·e·s sur l’Ocean Viking, une personne nous indiquait l’heure : nous n’avions aucune idée du temps écoulé, ni du nombre de sauvetages effectués.

Pendant une évacuation médicale par hélicoptère, nous avons pu voir des bateaux en détresse dans le secteur. Et cela a continué jusqu’à 20h. Nous avons passé 23 heures sans nous arrêter, sous le soleil intense, sans retirer notre équipement de protection dans lequel nous transpirions. La rouille des embarcations en métal s’est incrustée sur nos vêtements et sur notre peau à force de tenir les mains des gens pour les aider à monter à bord des RHIB.

Cela fait trois jours maintenant et je commence tout juste à récupérer du manque de sommeil et à sentir mon corps se remettre de ce marathon. Nous nous rendons lentement compte de tout ce qui s’est passé.


Crédit photo: Stefano Belacchi / SOS MEDITERRANEE