Qu’il s’agisse de pneumatiques, constitués d’un mince boudin de plastique assemblé avec quelques planches et des clous, ou de vieux bateaux en bois avec une cale, les femmes et les enfants occupent dans tous les cas la place la plus dangereuse sur ces fragiles esquifs. Nombreuses sont celles qui y ont laissé la vie.
Risques accrus d’écrasement et de suffocation au centre des pneumatiques
Pendant la traversée sur les embarcations pneumatiques, les femmes et les enfants sont souvent placé.e.s au milieu car les hommes croient ainsi les protéger de l’exposition directe aux vagues, à la houle et au risque de tomber à la mer. Mais cet emplacement les expose davantage à l’écrasement, à la suffocation et à des brûlures sévères causées par un mélange d’eau de mer et de carburant, extrêmement corrosif pour la peau et dont les vapeurs sont toxiques. De plus, le fond des pneumatiques étant renforcé à l’aide de planches de bois assemblées par des clous qui dépassent, ces derniers provoquent fréquemment des blessures. Dans les cas où l’embarcation prend l’eau, la panique gagne vite le bord, la plupart des naufragé.e.s ne sachant pas nager. Les personnes assises au fond de l’embarcation sont souvent les premières victimes de noyade à bord même de l’embarcation, des suites de bousculades, de piétinement et d’asphyxie.
Dans certains bateaux en bois, les femmes sont entassées dans la cale où le risque d’étouffement et de noyade est accru. Si l’embarcation, instable, vient à chavirer, elles n’ont aucune chance.
22 morts dont 21 femmes
A plusieurs reprises, nos équipes ont ainsi eu la terrible tâche de ramener à terre des corps sans vie retrouvés au fond de ces embarcations pneumatiques. Ce fut notamment le cas lors d’un sauvetage dramatique effectué par les équipes de l’Aquarius le 20 juillet 2016, relaté par la journaliste du journal Le Monde, Maryline Baumard, montée à bord lors de cette mission[1]. 22 corps furent retrouvés au fond de l’embarcation, parmi lesquels figuraient 21 femmes.
Des filles qui étaient assises au milieu se sont trouvées prisonnières et ont été écrasées ou noyées dans l’eau mélangée à beaucoup d’essence renversée.
Ousmane, survivant du naufrage
« Il était environ minuit quand leur canot a pris la mer, en même temps que d’autres embarcations. C’est vers 4h ou 5h du matin que la panique s’est installée à bord. “Notre bateau était percé dessous, l’eau a commencé à monter, le plancher s’est relevé, alors les gens ont paniqué. Ils ont essayé de bouger mais c’était impossible, vu le nombre de personnes présentes. Des filles qui étaient assises au milieu se sont trouvées prisonnières et ont été écrasées ou noyées dans l’eau mélangée à beaucoup d’essence renversée“, raconte Ousmane [survivant de ce naufrage]. (…)« Cette nuit, la peur de mourir a transformé chacun de nous en un guerrier qui lutte pour sa survie. Les gens hurlaient, priaient et tous ne pensaient qu’à sauver leur peau »
De nouvelles mortes en Méditerranée en 2023
Selon Camille Schmoll, directrice d’études de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), «la mortalité des femmes en migration est bien plus élevée que celle des hommes. On manque d’information pour chiffrer cette situation mais on sait que du fait de la vulnérabilité liée au genre – lorsqu’on arrive à retrouver les corps et à connaître le sexe des victimes – on constate que les femmes ont beaucoup plus de risques de périr en mer ou dans le désert que les hommes».
Ainsi, depuis fin décembre 2022, alors que les navires d’ONG sont contraints à des allers-retours entre la zone de détresse et des ports éloignés, les naufrages mortels s’enchaînent en Méditerranée, où l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a recensé 327 décès depuis début 2023 (au 2 mars 2023). Parmi les victimes, plusieurs femmes, dont une enceinte, ont été identifiées sans que leur nombre ne soit connu,
Les rescapé.e.s d’un naufrage en février ont indiqué qu’un bébé de quatre mois était passé par-dessus bord au moment où sa mère, qui le tenait dans ses bras, s’est écroulée, morte de froid. Toujours en Méditerranée centrale, une femme a elle survécu par miracle en s’accrochant à un gilet de sauvetage avant d’être retrouvée par un pêcheur tunisien près de Lampedusa.
[1] « Migrants : les vivants et les morts à bord de l’Aquarius », Maryline Baumard. Le Monde, le 20 juillet 2016.
En savoir plus
- Sur le contexte en Méditerranée centrale dans « Regards sur la Méditerranée centrale »
- Sur les parcours des femmes secourues par nos équipes dans le tout nouveau dossier « Des femmes à la mer »
Crédit photo : Laurin Schmid / SOS MEDITERRANEE