Nouvelle Région de Recherche et de Sauvetage tunisienne : nos préoccupations humanitaires 
9 août 2024

Un an après la signature d’un accord entre la Tunisie et l’Union européenne, de sérieuses inquiétudes émergent suite à l’établissement, à la mi-juin 2024, d’une nouvelle Région de Recherche et de Sauvetage (région SAR) tunisienne1 

Selon l’Organisation maritime internationale (OMI), une région de recherche et de sauvetage est « un espace aux dimensions définies, associé à un centre de coordination, dans lequel des services de recherche et de sauvetage sont assurés » par un État côtier. Cette définition implique que l’État compétent dans cette zone est responsable de la coordination des activités de recherche et de sauvetage, qui peuvent être menées par différents acteurs opérant dans les eaux internationales, y compris des ONG. SOS MEDITERRANEE craint que l’extension de la région SAR tunisienne ait pour conséquence une augmentation des interceptions de personnes en détresse fuyant la Tunisie, et leur rapatriement par les garde-côtes dans ce pays qui n’est pas un lieu sûr.  

« Une chasse à l’homme » : racisme et xénophobie institutionnalisés 

Cette décision arrive à un moment où des rapports d’organisations internationales sur les droits humains et la presse locale décrivent une détérioration progressive des droits et libertés en Tunisie, tant pour les personnes migrantes que pour les Tunisiens.  

Les personnes d’origine subsaharienne sont particulièrement prises pour cible depuis l’année dernière, suite aux déclarations en février 2023 du Président Saïed qui a dénoncé la présence de « hordes de migrants clandestins » faisant partie d’une « entreprise criminelle » visant à « modifier la composition démographique » de la Tunisie en rompant avec son « caractère arabo-islamique ». Depuis ces annonces, le nombre de demandes de rapatriement volontaire a considérablement augmenté, de même que le nombre de tentatives de départs par la mer.  

Les violences physiques, les vols, les discriminations, les déplacements forcés dans le désert, les arrestations arbitraires et les violences en mer mettant en danger la vie des personnes naufragées, constituent des actes de mauvais traitement et de torture. Les personnes en migration ont, en Tunisie, un accès très restreint à leurs libertés fondamentales et sont victimes de persécutions fréquentes, alimentées par une vague de xénophobie et de discriminations institutionnalisées. Idrissou*, un jeune homme originaire du Bénin secouru par l’Ocean Viking en août dernier, décrit une véritable « chasse à l’homme » contre les personnes subsahariennes, qui l’a conduit à quitter le pays.  

Le 3 mai 2024, à l’aube, les forces de sécurité tunisiennes ont expulsé des centaines de personnes migrantes et réfugiées d’un parc public proche des bureaux tunisiens de l’Organisation internationale pour les migrations et du Haut-Commissariat pour les réfugiés des Nations-Unies (HCR). Parmi elles se trouvaient des enfants, des femmes enceintes et des demandeurs d’asile enregistrés auprès du HCR. Pendant l’expulsion, les forces de sécurité ont utilisé des gaz lacrymogènes et des tasers, y compris contre des enfants, et les ont frappés à coups de pieds et de matraques.  

Trois jours plus tard, dans un discours au Conseil de sécurité nationale tunisien, le président Saïed indiquait que les forces de sécurité tunisiennes avaient renvoyé de force 400 personnes à la frontière libyenne, dans ce qui semble bien constituer une expulsion collective illégale.   

« Nous avons vu des corps flottant dans l’eau » : le comportement violent et dangereux des garde-côtes tunisiens en mer 

Au même moment, en mer, le comportement agressif et violent des garde-côtes tunisiens, en particulier de la Garde nationale, a été signalé, révélant des pratiques menaçant la vie des personnes migrantes en mer. Ces actes sont décrits dans les multiples témoignages que comporte un rapport produit en juin 2024 par Alarm Phone.  

Des personnes migrantes ou réfugiées, parfois d’origine tunisienne, secourues par des navires de recherche et de sauvetage humanitaires ont décrit la violence et les abus auxquels elles ont fait face lors d’interceptions par les garde-côtes tunisiens, ainsi que l’absence de mécanisme de secours pour les embarcations en détresse en mer. Des personnes secourues par l’Ocean Viking en août 2023 ont indiqué aux membres de l’équipage avoir été témoins de naufrages et avoir vu des corps flotter dans l’eau près de la plage, puis à nouveau plus loin sur leur trajet. D’après leurs témoignages, des poissons se nourrissaient de ces corps. D’autres ont rapporté avoir été interceptées par des garde-côtes tunisiens ou approchées par des pêcheurs qui ont tenté, à l’aide de manœuvres dangereuses, de voler le moteur de l’embarcation avec laquelle elles essayaient de fuir.  

Les risques de la mise en place d’une région de recherche et de sauvetage tunisienne 

La reconnaissance officielle d’une région de recherche et de sauvetage tunisienne étend l’autorité des garde-côtes tunisiens, leur permettant d’opérer dans une zone maritime plus vaste que par le passé. La région SAR tunisienne nouvellement établie va au-delà des limites de la région officieuse précédente, chevauchant à certains endroits les régions de recherche et de sauvetage maltaise et libyenne, et atteignant la frontière de la région de recherche et de sauvetage italienne.  

Nous pouvons dès lors nous attendre à ce que les garde-côtes tunisiens opèrent désormais dans des zones du « couloir tunisien »2, qui était auparavant sous la juridiction des autorités italiennes. « Nous craignons que l’extension de la région SAR tunisienne n’entraine davantage d’interceptions de personnes fuyant le pays et qu’elles soient ramenées de force en Tunisie, qui n’est pas un lieu sûr » explique Soazic Dupuy, Directrice des Opérations de SOS MEDITERRANEE. « Le chevauchement de plusieurs régions SAR risque aussi de compliquer la coordination entre les différents États côtiers, ce qui conduirait à amoindrir encore la réactivité de ces autorités, en cas de détresse en mer ». 

L’augmentation des déplacements forcés et des interceptions met en évidence l’absence de respect du principe fondamental de non-refoulement, édicté par le droit international, qui proscrit toute forme d’expulsion d’une personne, quelle que soit sa nationalité ou son statut migratoire. 

Selon la législation tunisienne, quitter le pays de manière illégale constitue un crime. Cette disposition s’oppose intrinsèquement au droit des victimes de persécution de fuir un pays pour demander l’asile dans un autre pays. Dans ce contexte, les ressortissants tunisiens qui demandent l’asile à l’étranger sont criminalisés dès lors qu’ils sont retournés dans leur pays.  

1 Cela signifie qu’une région tunisienne de recherche et de sauvetage est reconnue et intégrée au plan mondial de recherche et de sauvetage de l’Organisation maritime internationale (OMI), où sont répertoriés les services de recherche et de sauvetage déployés dans le monde entier. 

2 Zone située entre la Tunisie, Malte et la Sicile 

*Les noms ont été modifiés pour préserver l’anonymat des personnes.

Crédit Photo en haut page : Claire Juchat / SOS MEDITERRANEE

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