Lucille, coordinatrice de la communication à bord de l’Ocean Viking, décrit deux photographies prises lors de la recherche d’embarcations en pleine nuit et dépeint son état d’esprit lors de ces moments qui lui paraissent interminables.
Interminable recherche de nuit
Les 25 et 26 octobre 2023, pendant deux nuits d’affilée, je photographie les équipes de l’Ocean Viking à la recherche de deux embarcations en détresse au large de Malte. Sur la passerelle, où se déroule la recherche, l’ambiance est tendue. L’équipe, silencieuse. Nous recherchons un esquif avec sept personnes à bord. J’observe mes collègues : certains scrutent l’horizon avec leurs jumelles, d’autres font des appels avec leur lampe torche. Le temps passe ; le vent se lève. Je me demande où peuvent être ces personnes en détresse. Ont-elles froid ? Ont-elles peur ? Pendant plusieurs heures, en binôme avec un autre navire de sauvetage, nous les chercherons en pleine nuit. En vain.
Le lendemain nous recevons une nouvelle alerte. En pleine nuit, à nouveau, toute l’équipe est réveillée. Les marins sauveteurs et sauveteuses se relaient à la jumelle. Cette fois-ci, nous cherchons une barque en fibre avec 60 personnes à bord. Un cargo aux alentours nous annonce à la radio avoir trouvé un bateau vide qui correspond à la description. Nous cherchons l’embarcation pour en avoir le cœur net. Mais rien. Il est 5h du matin, la recherche s’arrête. J’ai la gorge serrée. J’entends un de mes collègues s’énerver. Ces personnes ont-elles été interceptées et ramenées dans l’enfer libyen ? Sont-elles tombées à l’eau ? Nous ne le saurons peut-être jamais. Je m’endors difficilement en pensant à celles et à ceux que je ne rencontrerai jamais.
Sauvetage de nuit
Cette nuit-là, dès que nos canots de sauvetage sont à l‘eau, je l’aperçois au loin malgré l’obscurité. C’est un petit voilier d’à peu près 12 mètres, avec 75 personnes entassées, qui tangue énormément à cause des vagues et du vent.
On s’approche avec nos projecteurs. Et je commence à voir des visages. Il y a au moins une cinquantaine de personnes – sans gilets de sauvetage – qui d’agglutinent au-dessus du voilier et j’aperçois tout suite les enfants. Je ne m’attendais pas à voir autant d’enfants, je suis un peu sous le choc. Mes yeux s’arrêtent sur une petite fille, elle a une dizaine d’années, je distingue le sac qu’elle porte sur le dos, il y a une petite peluche accrochée sur le côté. La petite fille me regarde et me sourit. Je bloque. Je ne sais plus à quoi je pense mais je suis en état de sidération. J’ai dû m’arrêter quelques secondes, c’est la voix de ma collègue qui m’appelle qui me ramène dans l’action pour commencer à distribuer les gilets de sauvetage.
Le sauvetage est difficile mais les équipes de l’Ocean Viking parviennent à évacuer les 75 personnes de ce voilier instable, dont 17 enfants. En mer depuis maintenant une semaine, elles étaient parties de Turquie. Cette petite fille a fui avec sa famille le régime taliban en Afghanistan où il lui était interdit d’aller à école.