Photographe et vidéaste de métier, Camille a commencé à collaborer à titre de bénévole à terre dès 2021 avec SOS MEDITERRANEE avant de s’embarquer à de nombreuses reprises sur l’Ocean Viking. Elle a choisi de nous raconter ses clichés pris dans le cadre d’un « salon de coiffure » à bord.
Quelque chose se prépare sur le pont. Le logisticien va et vient, transporte des tables, des chaises, des miroirs, des serviettes, des tondeuses à cheveux, des ciseaux, etc. Quelques personnes commencent à se rassembler autour de lui, curieuses de voir ce qui se passe. Au fur et à mesure que les gens arrivent, leurs visages s’illuminent lorsqu’ils réalisent ce qui se passe : un salon de coiffure est installé au milieu de la mer Méditerranée.
Chaque fois que nous organisons l’activité coiffure sur le pont, le succès est immédiat. Personne ne veut la manquer, et une longue file d’attente se forme rapidement. Certaines des personnes rescapées sont des professionnel.le.s de la coiffure et offrent volontiers leurs services pour couper les cheveux, les barbes et les moustaches. D’autres préfèrent se couper les cheveux elles-mêmes. C’est toujours un grand moment de convivialité, chacun.e discutant de la coupe qui lui conviendrait le mieux, comme dans un salon de coiffure classique. Il va sans dire que personne parmi les rescapé.e.s n’est allé se faire coiffer depuis longtemps, et l’essentiel des demandes consiste à couper les cheveux qui ont poussé au fil des mois. La concentration et la minutie avec lesquelles on coupe, taille et rase sont touchantes, car chacun.e met un point d’honneur à se montrer sous son meilleur jour en vue de son arrivée en Europe.
Mais le salon de coiffure est plus qu’une simple occasion de se faire couper les cheveux. Je ne peux pas parler pour elles, mais je crois que pour ces personnes, dont le corps a été blessé, abîmé, parfois torturé et toujours négligé, la capacité à prendre soin d’elles-mêmes signifie plus qu’une simple amélioration de l’apparence physique. C’est peut-être un moyen de commencer à restaurer leur image d’elles-mêmes. Il s’agit de retrouver l’intégrité de son corps, son libre arbitre et sa fierté. Il s’agit de retrouver la pleine propriété de son corps.
Je suis heureuse que nous puissions leur offrir cet espace sûr où les personnes peuvent prendre soin d’elles-mêmes en tant qu’individus à part entière. C’est pourquoi j’aime filmer et photographier l’activité du salon de coiffure : c’est tout ce que je vois dans les miroirs lorsqu’ils et elles coupent et tressent leurs cheveux, taillent leur barbe et leur moustache. Ce ne sont plus des personnes naufragées, rescapées, ce sont des êtres humains qui revendiquent leur droit à la dignité.
