[CP] L’Ocean Viking paie le manque de coordination des autorités maritimes libyennes par une détention administrative de 20 jours et une amende

Marseille, le 16 novembre 2023 – Hier, 15 novembre, les autorités italiennes ont ordonné une immobilisation de 20 jours du navire de sauvetage humanitaire Ocean Viking et lui ont imposé une amende de 3 300 euros. Cette détention s’effectue sous l’égide du décret-loi du 2 janvier 2023, numéro 1, mieux connu sous le nom de « décret Piantedosi », bien que l’équipe ait rempli son obligation légale incontestable de sauver des personnes en détresse en mer alors que la communication avec les autorités maritimes libyennes était pratiquement impossible.

À la suite du sauvetage de 33 personnes dans la Région de recherche et de sauvetage libyenne, dans la nuit du vendredi 11 au samedi 12 novembre, l’Ocean Viking a été instruit par le Centre de Coordination des Secours Maritimes italien (ITMRCC) de se diriger vers Ortona pour y débarquer les rescapés. Peu avant 3 heures du matin, la même nuit, alors qu’il faisait route vers Ortona, l’Ocean Viking a reçu une alerte concernant un bateau en détresse avec 34 naufragés à bord, à seulement 16 milles nautiques de sa position. Le MRCC italien a redirigé l’Ocean Viking vers le Centre Conjoint de Coordination des Opérations de Sauvetage (JRCC) libyen pour recevoir des instructions. Dans les deux heures qui ont suivi, l’Ocean Viking a tenté de communiquer avec les autorités libyennes responsables afin d’obtenir une coordination alors que 34 personnes étaient exposées à un danger imminent et grave voire à une perte de vie humaine en mer. Nous savons aujourd’hui qu’au moins l’une d’entre elles serait certainement décédée si les secours n’étaient pas intervenus.


Cette nuit-là, comme la plupart du temps, la communication avec le JRCC libyen a été pratiquement impossible. Les courriels de l’Ocean Viking sont restés sans réponse. Les appels téléphoniques aussi, ou encore il n’y avait pas de locuteur anglophone disponible. Finalement, un officier a répondu, mais il ne parlait qu’un anglais rudimentaire et s’est contenté de demander l’emplacement exact du cas de détresse. « Aucun signe ne laissait présager d’opérations de sauvetage en cours. Aucune autre autorité maritime n’a apporté d’informations ou d’assistance, malgré les tentatives de coordination de l’Ocean Viking. Ainsi, l’équipage n’était pas dégagé de son obligation d’assistance. Pendant ce temps, l’Ocean Viking se voyait constamment rappeler la menace d’une détention par le MRCC italien si une instruction claire de sauvetage n’était pas donnée. Notre seule consigne explicite était de rejoindre Ortona immédiatement, alors que des individus en détresse se trouvaient en mer, non loin de notre navire, au beau milieu de la nuit « , explique Luisa Albera, coordinatrice des opérations de recherche et de sauvetage à bord de l’Ocean Viking.


Le droit international ne laisse aucune place au doute : abandonner ces 34 naufragés à leur sort au milieu de la mer aurait été illégal et moralement répréhensible. Les chances que ce bateau et les personnes qu’il transportait aient pu atteindre le rivage sans assistance étaient extrêmement faibles. L’un des hommes secourus de cette embarcation s’est évanoui en raison d’une importante inhalation de carburant et a dû subir une oxygénothérapie continue ainsi qu’une réanimation par fluides. S’il n’avait pas été secouru, il aurait pu souffrir d’une grave détresse respiratoire ou mourir. De nombreux survivants, dont des mineurs, ont subi d’importantes brûlures dues au carburant et ont dû recevoir des soins médicaux d’urgence. Aujourd’hui, l’Ocean Viking est détenu pour ne pas les avoir laissés derrière lui en mer, en danger imminent de mort.


« Nous avons constamment communiqué de façon transparente et proactive avec toutes les autorités compétentes tout au long de nos missions de recherche et de sauvetage, tout en cherchant activement leur coordination. Cependant, le décret Piantedosi crée une contradiction insurmontable avec les principes du droit maritime : le devoir de sauvetage demeure, même en l’absence d’une coordination adéquate par les autorités compétentes. Laisser des naufragés à la dérive en mer est non seulement illégal mais aussi inhumain. Faire face à des détentions et à des amendes, faute d’avoir reçu des instructions claires de la part des autorités chargées de la coordination, représente un dilemme inacceptable pour tout sauveteur. Il est impensable qu’une organisation humanitaire soit sanctionnée pour avoir accompli son devoir de sauvetage, et plus encore, pour les défaillances des autorités à coordonner efficacement les opérations de sauvetage en Méditerranée centrale », déclare
Sophie Beau, co-fondatrice de SOS MEDITERRANEE et directrice générale de SOS MEDITERRANEE France.


Suite au décret-loi n° 1 du 2 janvier 2023, les navires des ONG ont subi douze immobilisations cette année, privant ainsi la Méditerranée centrale de ressources essentielles pour le sauvetage lors de l’année la plus tragique depuis 2017. Rien que ce week-end, de nombreuses personnes ont perdu la vie ou ont disparu en tentant de traverser la Méditerranée en quête de sécurité. Plutôt que d’apporter une réponse appropriée aux impératifs humanitaires à sa frontière méridionale, l’Europe réagit en neutralisant ceux qui tentent de sauver des vies.

Crédit photo Jérémie Lusseau / SOS MEDITERRANEE