116 PERSONNES ABANDONNÉES EN MEDITERRANÉE CENTRALE : UN MANQUEMENT AU DROIT AUX CONSÉQUENCES FATALES
Marseille, le 28 mai 2025 – Entre le 24 et le 26 mai, pendant plus de 48 heures, un navire marchand, un navire de ravitaillement, le navire humanitaire de sauvetage Ocean Viking, ainsi que des bénévoles de la ligne d’alerte civile Alarm Phone se sont mobilisés en Méditerranée centrale pour porter assistance à une embarcation en bois en détresse transportant 116 personnes. L’embarcation a été abandonnée en mer pendant plus de deux jours, dans des conditions météorologiques qui se dégradaient. Un temps durant lequel les autorités maritimes ont failli à leurs obligations et donné des instructions en violation du droit maritime et des droits humains.

Malgré des alertes émises très tôt par Alarm Phone et de multiples communications adressées aux autorités maritimes libyennes, italiennes et maltaises, aucun soutien adéquat n’a été apporté par les Centres de Coordination des Secours compétents (MRCC), laissant les trois navires intervenir isolément, sans orientation ni coordination.

Par ailleurs, une seconde embarcation en détresse signalée par Alarm Phone, à seulement 23 milles nautiques au nord de l’embarcation transportant 116 personnes, a été secourue par les garde-côtes italiens, ce qui démontre que des moyens de sauvetage étaient bel et bien présents dans la zone.

RETOUR SUR LES FAITS :

Une première opération menée par le navire marchand MV Bobic a eu lieu dans la nuit du samedi 24 mai, dans des conditions météorologiques difficiles et dans l’obscurité. L’équipe du MV Bobic n’a pu évacuer que 35 des 116 naufragé.e.s, avant de perdre de vue l’embarcation en détresse. Au cours de cette tentative de sauvetage, trois personnes se sont noyées.

Un navire marchand, d’autant plus sans coordination adéquate, n’est pas adapté pour mener des opérations de sauvetage d’envergure. Malgré des appels à l’aide désespérés et des demandes d’instruction répétées adressées au MRCC compétent, le capitaine du navire n’a eu d’autre choix que de s’en remettre à des organisations civiles (Alarm Phone et SOS MEDITERRANEE) pour répondre à cette situation de détresse et de danger imminent

De plus, malgré les vives préoccupations quant aux implications juridiques, l’État du pavillon du MV Bobic (îles Marshall) a déclaré que « le MRCC Rome s’est coordonné avec le JRCC Libye afin que les 35 migrants soient débarqués du navire dès que possible ». Cette décision a conduit au retour forcé des personnes secourues vers la Libye, en violation totale du droit international et maritime. Elles ont alors été transbordées vers un navire des garde-côtes libyens au large de Zawiyah et auraient été, selon les informations qui nous sont parvenues, conduites dans le tristement célèbre centre de détention dit « prison Osama » à Zawiyah.

Les personnes restées à bord de l’embarcation en bois n’ont pas été joignables pendant près d’une journée. Dans la nuit du dimanche 25 mai, le navire de ravitaillement ECO ONE, navigant sous pavillon italien, a pu secourir 26 personnes de cette embarcation, mais n’a, lui non plus, pas été en mesure d‘évacuer toutes les personnes en détresse en raison du mauvais temps.  L’île de Lampedusa leur a été assigné comme lieu sûr de débarquement.

Bien que le navire ait transmis l’information aux autorités italiennes dans l’après-midi, aucune alerte n’a été partagée avec le navire de SOS MEDITERRANEE, l’Ocean Viking, qui aurait pu intervenir plus tôt pour soutenir les opérations de sauvetage.

Peu après, dans la nuit du 25 mai, l’Ocean Viking, a secouru les 53 rescapé.e.srestant.e.s, dont 6 enfants, 19 femmes et 28 mineurs non accompagnés. Malgré les besoins médicaux importants et le traumatisme émotionnel des personnes secourues qui ont été séparées et ont vu se noyer certains de leurs compagnons, l’Ocean Viking s’est vu assigner Livourne, à plusieurs jours de navigation, comme lieu sûr de débarquement.

La nuit dernière, cinq des personnes secourues par l’Ocean Viking ont dû être évacuées pour raisons médicales par les garde-côtes italiens au large de Lampedusa. Parmi elles se trouvaient un bébé de 8 mois et une personne ayant frôlé la noyade.

UN LIEU SÛR DE DÉBARQUEMENT DÉSIGNÉ SANS PRENDRE EN COMPTE L’ÉTAT DE SANTÉ DES PERSONNES RESCAPÉES :

« L’état de santé des personnes rescapées à bord reflète l‘extrême violence des épreuves qu’elles ont traversées en mer : blessures orthopédiques, brûlures chimiques dues au mélange d’essence et d’eau salée, blessures liées à des actes de violences et de torture… Toutes nécessitent des soins médicaux urgents et sont également dans un état de grande fragilité lié au traumatisme de la perte de vies humaines », témoigne Rebecca, responsable de l’équipe médicale à bord.

Ce matin, l’Ocean Viking a fait escale à Porto Empedocle, conformément à la décision du tribunal pour mineurs de Palerme qui, à la demande de SOS MEDITERRANEE, a autorisé le débarquement des mineurs et des familles. Malgré nos multiples demandes pour débarquer l’ensemble des rescapé.e.s, 13 personnes n’ont pas été autorisées à débarquer. Elles devront rester à bord de l’Ocean Viking jusqu’à Livourne, qui a été confirmé comme port sûr de débarquement. Cette décision entraine une nouvelle séparation douloureuse pour les rescapé.e.s.

UN MANQUE DE COORDINATION RESPONSABLE DE MORT.E.S EN MER :

« Dans ce contexte d’absence totale de coordination et de négligence , nous constatons que les violations du droit maritime et humanitaire international deviennent à la fois fréquentes et banalisées. Alarm Phone reçoit chaque jour des appels d’embarcations en détresse. Très fréquemment nous voyons comment ces appels sont ignorés et les secours retardés. Trop souvent, nous sommes aussi témoins des refoulements forcés des personnes  qui sont renvoyées vers les lieux qu’elles fuyaient, où elles ne sont pas en sécurité. Ce que ces personnes en détresse endurent ne sont pas des accidents tragiques, mais la conséquence directe et prévisible de la politique de protection des frontières de l’UE, dont l’objectif premier n’est pas de sauver des vies, mais de dissuader les personnes de tenter la traversée », explique Conni, d’Alarm Phone.

De nombreuses questions restent sans réponse, malgré l’attention que la société civile porte à ces violations. Nous demandons une enquête approfondie sur cette série d’incidents. Il est impératif d’identifier les responsabilités concernant la mauvaise et tardive coordination de ces opérations de sauvetage. Il s’agit de déterminer qui a donné l’ordre au MV Bobic de débarquer les personnes en Libye et est responsable de la mort de trois personnes.

« Lorsqu’une embarcation est en détresse, la coopération et la coordination sont essentielles pour sauver des vies. Le silence et l’inaction, à l’inverse, peuvent tuer. Il n’y a pas de place pour le débat politique. Lorsque des personnes risquent de se noyer, nous savons que tout retard dans la réponse à une situation de détresse peut conduire à une catastrophe, comme cela s’est déjà produit, par exemple, à Pylos ou à Cutro. La Méditerranée centrale ne peut plus être une mer d’indifférence. Elle doit être un espace de collaboration et de responsabilités partagées. Le sauvetage en mer requiert exigence et professionnalisme, et SOS MEDITERRANEE s’y conforme. Toutefois, cela nécessite que les organisations civiles ne soient pas laissées sans coordination ni criminalisées », déclare Angelo, coordinateur des opérations de recherche et de sauvetage à bord de l’Ocean Viking. « Nous demandons aux États de rétablir d’urgence une coordination efficace des opérations de recherche et de sauvetage en Méditerranée. Des vies en dépendent », conclut-il.


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