Dossier thématique 

Des femmes à la mer

De 2016 à fin 2022, 15% des personnes secourues sont des femmes. Alors que l’on s'apprête à célébrer la Journée internationale des droits des femmes partout dans le monde, rappelons que le plus élémentaire est encore le droit de vivre.

Le dossier que nous vous présentons est également disponible en PDF en Français, Anglais, Allemand et Italien.

Avertissement

Certains récits de vie comprennent des scènes d’une rare violence – torture, viol, extorsion, mise à mort et naufrage – qui sont très explicites. Nous préférons vous en avertir.

Les éléments établis dans ce recueil de témoignages sont exclusivement tirés des propos recueillis à bord auprès des personnes secourues de 2016 à 2022 et de nos observations en mer. Cependant, de nombreuses organisations intergouvernementales comme le Haut-Commissariat des Nations-unies pour les réfugiés (UNHCR)[1] ou l’Organisation internationale pour les migrations (OIM)[2] ont amplement documenté et corroboré ces récits, notamment en ce qui concerne les violences – y compris sexuelles – subies lors du parcours migratoire, en Libye et en mer.

Tous les prénoms des femmes qui témoignent ont été modifiés pour préserver l’anonymat et la sécurité des rescapées.

Image de deux femmes, par l'artiste Laec

Introduction 

Rendre justice au courage des femmes secourues par SOS MEDITERRANEE 

Elles s’appellent Angèle, Maha ou Aya. Leur origine, leur âge, leur histoire diffèrent, mais elles ont toutes en commun l’expérience d’avoir bravé la mort en Méditerranée centrale – la route migratoire maritime la plus mortelle au monde depuis 2014 – pour fuir « l’enfer libyen » comme elles l’appellent toutes.  

Certaines sont déjà grand-mères, d’autres sont enceintes ou accompagnées de jeunes enfants. La majorité d’entre elles voyagent seules, les rendant doublement vulnérables. D’autres encore sont des adolescentes ayant quitté l’enfance de manière précipitée pour être jetées sur les routes de l’exil sans la protection d’un parent. Toutes ont été secourues par les équipes de sauvetage de SOS MEDITERRANEE, ont été prises en charge à bord de l’Aquarius ou de l’Ocean Viking, ont raconté une partie de leur périple puis ont été débarquées dans un port sûr, conformément au droit maritime. Mais que sait-on de ces femmes ? 

« Il faut restituer la part des femmes dans les migrations parce qu'on l’oublie parfois, mais (…) dans le monde, la moitié des migrants sont des migrantes. Y compris sur ces routes particulièrement périlleuses que sont les routes maritimes, elles représentent entre un cinquième et un sixième des arrivées…» expliquait Camille Schmoll, directrice d'études de l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) lors de la conférence « Femmes en Méditerranée : visages et parcours de migration », organisée par SOS MEDITERRANEE en mars 2021[3]. « La mortalité des femmes en migration est bien plus élevée que celle des hommes.  On manque d’information pour chiffrer cette situation mais on sait que du fait de la vulnérabilité liée au genre - lorsqu’on arrive à retrouver les corps et à connaître le sexe des victimes - on constate que les femmes ont beaucoup plus de risques de périr en mer ou dans le désert que les hommes » continue la chercheure. 

De février 2016 à décembre 2022, SOS MEDITERRANEE a secouru 37136 personnes en Méditerranée centrale, dont 5489 femmes adultes, soit 15% des personnes rescapées. 

Souvent invisibilisées, ces femmes font preuve d’une résilience et d’une force morale hors du commun. Nous avons voulu leur donner la parole pour leur rendre une part de l’humanité et de la singularité dont elles ont été privées. Cette parole de femmes en migration a été recueillie à bord de l’Aquarius entre 2016 et 2018 puis de l’Ocean Viking à partir de 2019. Durant cette parenthèse en mer, elles ont livré leur histoire, parfois avec beaucoup d’émotion, elles ont confié à d’autres femmes – celles qui composent nos équipes à bord – leurs plus grands secrets, leurs peurs, mais aussi leur espoir d’une vie meilleure. 

Ce recueil de témoignages a pour but de faire entendre leur voix et de partager quelques éléments de compréhension basés sur leurs récits recueillis à bord. Il vise aussi à rendre hommage à ces femmes dont le courage et la force sont un exemple pour l’humanité. Nous espérons qu’il contribuera à sensibiliser l’opinion publique sur l’importance de mettre en place une flotte de sauvetage européenne en Méditerranée centrale pour éviter des milliers de morts en mer.

Sauvetage d'un bébé d'une embarcation en Méditerranée.

MISSION TEMOIGNAGE

Accueillir les récits des femmes en mer, les faire résonner à terre 

Chaque année, des milliers de personnes meurent en Méditerranée sans témoins. Nul ne sait combien de femmes comptent parmi les plus de 25 000 morts recensées par l’Organisation internationale pour les migrations depuis 2014[4] qui rappelle que « la vaste majorité des décès de femmes dans le monde est causé par noyade (…) et que l’identité de la majorité d’entre elles demeure inconnue »[5]

Outre sa mission vitale de sauvetage et celle de protection et de soins des rescapé.e.s à bord, SOS MEDITERRANEE a pour mandat de faire connaître le drame humanitaire en Méditerranée et de donner la parole à celles et ceux qui y ont survécu. C’est sa mission de témoignage. 

Le recueil de témoignages à bord de nos navires se fait le plus souvent par les chargées de communication, mais aussi par d’autres membres de l’équipe de sauvetage, de soins ou parfois par des journalistes. Les femmes rescapées se confient beaucoup plus aisément aux femmes de l’équipe, seules à avoir accès à l’abri qui leur est réservé, à elles et aux jeunes enfants.  

Marie Rajablat, bénévole à Toulouse exerçant le métier d’infirmière en secteur psychiatrique, est aussi montée à bord à deux reprises pour recueillir les témoignages des rescapé.e.s.  Elle en a tiré l’ouvrage « Les Naufragés de l’enfer ». Pour les femmes, soumises aux pires exactions lors de leur parcours d’exil depuis des mois, parfois des années, cette « parenthèse d’humanité » représente un moment de paix où elles peuvent enfin se sentir en sécurité. « Dans ces types de rencontres, on ne triche pas. On va droit à l'essence même de l'être » affirme Marie. « J'approche et accompagne les rescapé.e.s comme j'aborde les personnes qui souffrent de troubles psychiques. Avec tous mes collègues de l’équipe de sauvetage, nous n'avons pas d'autres choix que de construire des îlots éphémères où se mettre à l'abri et se ressourcer, pour rouvrir la pensée et continuer à accueillir et panser. » Elle tisse des liens particuliers avec les femmes et permet aux plus timides de venir à elle. « Les jeunes filles étaient souvent plus farouches. Mises à l'abri avec les femmes et les petits enfants, je ne restais ni trop loin ni trop près parce que lorsqu'elles étaient prêtes à raconter, il fallait être là. Si les garçons sont restés très généralistes, les filles qui ont pu parler ont témoigné par le menu de l'enfer qu'elles avaient vécu. » 

Outre le partage de ces témoignages par le biais des outils de communication de l’association, à terre, nos centaines de bénévoles – dont les trois quarts sont des femmes – œuvrent à leur transmission via des activités de sensibilisation scolaire, des événements publics, des lectures de témoignages et d’autres occasions de porter la parole des femmes, des enfants et des hommes secouru.e.s par nos navires. 

Pourquoi partent-elles ? 

Si les femmes peuvent être amenées à quitter leur pays d’origine pour les mêmes raisons que les hommes (guerre, conflits, persécutions, pauvreté, famine, recherche de meilleures conditions de vie…), elles sont cependant plus nombreuses à fuir des formes de violences domestiques et sexuelles, notamment les mariages forcés. Parfois aussi, il s’agit de protéger leurs enfants – y compris de l’excision pour les petites filles. De manière générale, il est hasardeux de vouloir résumer en quelques mots les « causes » de ces parcours d’exil, qui sont très souvent complexes, entremêlant de multiples facteurs et de nombreux éléments liés à l’histoire personnelle. Toutes les rescapées secourues par les équipes de SOS MEDITERRANEE ont néanmoins pour point commun d’avoir transité par la Libye. 

Si certaines voulaient se rendre en Libye pour y travailler ou comme lieu de transit pour quitter le continent, beaucoup d’entre elles n’avaient pas ce pays comme destination initiale. Mais elles y ont été emmenées, pour beaucoup par la force, et s’y sont retrouvées piégées. Depuis 2018, il arrive également que des familles d’origine libyenne prennent la mer pour quitter leur pays en proie au chaos.    

Malheureusement, « un grand nombre de femmes et de jeunes filles qui décident de quitter leur pays d'origine à la recherche d'une vie meilleure courent un grand risque de subir des violations traumatisantes telles que le viol, l'enlèvement, l'exploitation sexuelle et même la mort pendant leur déplacement. »[6]

Focus : 44 pays d'origine

Les personnes secourues par SOS MEDITERRANEE depuis 2016 (femmes, hommes et enfants confondu.e.s) sont originaires de 44 pays des continents africain (Nigéria, Erythrée, Côte d’Ivoire, Guinée Conakry, Mali, Soudan…) et asiatique (Afghanistan, Bangladesh, Syrie, Palestine…). Seuls les témoignages des rescapé.e.s s’exprimant dans une langue comprise par les équipes et désirant le faire ont pu être recueillis et retranscrits.

Une mère (Jewada) et sa fille bébé. Dessin de l'artiste Laet d'après photo.

JEWADA

de Guinée-Conakry, ne voulait pas que sa fille, atteinte de drépanocytose[7], soit excisée car elle en serait morte.

Mars 2020  

J’ai fait l’aventure depuis la Guinée-Conakry pour ma fille, Souadou. J’ai trois enfants, deux garçons et une fille. J’ai dû laisser mes deux garçons au pays avec mon mari pour sauver ma fille.Souadou est malade, elle est drépanocytaire et la famille de mon mari voulait l’exciser. Mais si on l’excise, elle va mourir. C’est pour ça que j’ai fui. Chaque fois que je sortais, j’entendais mes petites sœurs parler d’exciser ma fille. Chez nous, c’est interdit mais des gens le font en cachette. J’ai dit que si quelqu’un faisait ça à ma fille, je porterais plainte. Mais les gens ne comprenaient pas. Ils ont essayé de le faire une fois quand j’étais sortie. J’ai parlé avec mon mari et il m’a donné l’autorisation de partir chercher de l’aide pour ma fille 

UN PARCOURS MIGRATOIRE A HAUT RISQUE

Le parcours migratoire des femmes, qui peut durer quelques mois ou plusieurs années, les amène à franchir des milliers de kilomètres, y compris la traversée du Sahara. Il n’est pas rare qu’elles quittent seules leur pays à la suite d’une rupture familiale, parfois encore très jeunes, faisant d’elles des proies faciles pour les trafiquants qui leur promettent aide et soutien, alors qu’en réalité, ils les attirent dans des réseaux de traite d’êtres humains.  

« La traversée du désert constitue une épreuve parfois mortelle : les migrants qui voyagent dans (…) le Sahara font face à des risques liés à la fois au danger inhérent à la traversée de ce vaste désert, ainsi qu’aux risques d’origine humaine liés à l’insécurité régionale… »[8] En plus des dangers de la traversée du désert – où elles sont parfois abandonnées sans eau ou abattues – les personnes en migration sont victimes de vols, de violences physiques, de mise en esclavage, de torture et d’extorsions de toutes sortes durant leur parcours. Les femmes et les jeunes filles sont particulièrement exposées aux violences sexuelles et aux réseaux de traite humaine liés à la prostitution. Certaines en sont victimes dans le cadre de l’esclavage domestique dans les pays de transit et en Libye. 

JAYA

22 ans, du Cameroun, a traversé le Sahara sans eau ni nourriture.
Avril 2022 

J’ai quitté le Cameroun à 17 ans, après avoir été mariée de force. Je ne peux pas parler de ça car c’est très douloureux, trop douloureux. Je suis d’abord allée au Nigeria, puis au Bénin et au Niger. À la frontière avec le Niger, j’ai été kidnappée avec d’autres personnes fuyant leur pays. Un groupe d’hommes nous a demandé de payer 500 000 Francs CFA [environ 760 €] pour être libérés. Ils nous ont dit d’appeler nos familles tout en nous battant pour obtenir cet argent. Je n’avais plus de famille à appeler. Je ne pouvais pas être libérée. Ceux qui étaient comme moi ont été mis dans des camions. Nous avons traversé le désert pendant trois jours. Sans eau ni nourriture. Trois personnes sont tombées malades pendant le voyage. Deux sont mortes. On les a jetées dans le désert.À notre arrivée en Libye, des gens sont entrés dans les camions. Certains achetaient deux d’entre nous, d’autres trois, d’autres encore une seule personne. J’ai été achetée seule par Monsieur Ibrahim. 

Portrait d'une femme (Jaya) tendant la  main.<br />
Dessin de l'artiste Laet d'après photo.

L’ENFER LIBYEN

« La Libye représente l'un des principaux points chauds en matière de violations, et les atteintes aux droits humains y sont graves. Plusieurs femmes et jeunes filles font état d'incidents de viols dans les centres de détention, ou de prostitution forcée. Elles risquent également d'être victimes de la traite à des fins d'exploitation sexuelle lorsqu'elles cherchent du travail pour financer le reste de leur voyage. Les femmes sont beaucoup plus vulnérables que les hommes, par exemple lorsqu'elles voyagent à pied sur de longues distances, et sont souvent violentées par les passeurs, parfois sous la menace d'une arme. »[9] Si peu d’entre elles décrivent dans les détails les horreurs qu’elles y ont vécu, de nombreux hommes rapportent quant à eux avoir été témoins de violences à l’égard des femmes et des jeunes filles en Libye. De nombreuses femmes portent d’ailleurs les stigmates physiques et psychologiques de ces agressions répétées, ou tombent enceintes à la suite de viols subis dans des centres de détention formels ou informels.  

Portrait d'une femme (Angèle) et sa fille.<br />
Dessin de l'artiste Laet d'après photo.

ANGÈLE

27 ans, du Cameroun, porte les stigmates des viols répétés en Libye.
Janvier 2021 

Ce qu’ils font aux femmes là-bas, on ne peut même plus appeler ça du viol. Il n’y a pas de nom pour ce qu’ils nous font. C’est tous les jours. Mais les voir violer des garçons et des bébés, c’est pire. Ils obligent les petits enfants à faire des choses. Si la mère essaie de les arrêter, ils la violent. Ils ont des armes, des barres de fer, ils éteignent leurs cigarettes sur ton corps. Et ils filment tout. Ils vous violent devant votre bébé, devant votre enfant, ils s’en fichent. Si vous allez en « prison »[10] avec votre mari, ils violent votre mari devant vous. Je me suis échappée parce qu’ils m’ont laissée pour morte. Ils m’ont jetée dans un conteneur dehors, complètement nue. À un moment donné, le viol n’avait plus aucune signification pour moi. Je les laissais faire. Si tu refuses, ils peuvent te tuer. Ça arrive tous les jours. J’ai des brûlures de cigarettes partout. Je porte les preuves de ces violences sur tout le corps.   

Lorsqu’elles voyagent seules, les femmes et les jeunes filles sont souvent prises pour cibles par les trafiquants d’êtres humains et les passeurs. Si elles n’ont pas le montant d’argent nécessaire à la traversée de la Méditerranée, elles peuvent être forcées à des relations sexuelles avec les passeurs en échange d’une « place » sur un bateau. Beaucoup relatent des viols répétés par les gardiens des centres de détention, en plus du manque d’eau potable, de nourriture et de la plus élémentaire hygiène, sans parler de l’absence d’accès à des soins de santé. Certaines femmes ont accouché dans ces centres insalubres, sans assistance, parfois à la suite de viols. 

En janvier 2021, Nejma Brahim, journaliste de Médiapart embarquée sur l’Ocean Viking, a fait de ces violences faites aux femmes le sujet d’un article dans lequel elle relate les expériences de Lisa, Aïcha et Tatiana, violées[11] et torturées par leurs geôliers en Libye. Selon la journaliste, ces violences constituent l’une des raisons pour lesquelles la mortalité des femmes sur les routes migratoires est plus élevée que celle des hommes.  

Nombreux sont les récits de ces hommes et de ces femmes qui s’étaient installé.e.s en Libye dans l’espoir dune vie meilleure et n’ont finalement eu d’autre choix que de fuir ce pays devenu un « enfer » selon leurs propres termes. D’autres y ont été amené.e.s contre leur gré. L’insécurité permanente, particulièrement pour quiconque a la peau foncée, le risque d'enlèvement, l’enfermement dans des centres de détention surpeuplés, la réduction en esclavage, la torture voire les assassinats arbitraires  : ces témoignages, les équipes de SOS MEDITERRANEE les ont entendus des centaines de fois. 

AYA

22 ans, mère de jumeaux, de Côte d’Ivoire, raconte les sévices imposés par les gardiens des centres de détention en Libye. 

Février 2020  

Un jour, ils ont attrapé un bébé. Ils ont frappé la mère. Ils l’ont battue, battue, battue !  Elle n'avait soi-disant qu'à appeler ses parents pour envoyer la rançon demandée. Mais sa famille ne pouvait pas payer et elle n'avait pas de mari. Alors un jour, ils ont pris son bébé, ils ont creusé un trou et mis l'enfant à l'intérieur. Ils ont commencé à verser du sable sur le bébé jusqu'à ce que sa tête en soit couverte. L'enfant criait, pleurait. Au bout de dix minutes, ils ont retiré l'enfant du trou pour le rendre à sa mère. 

EYE

30 ans, du Nigeria, a été vendue en Libye et a assisté à des exécutions sommaires.

Décembre 2016 

Une fois, il y avait un couple. Les gardes sont venus violer la femme devant tout le monde et ils ont installé son mari sur une chaise et il devait regarder. Ils lui mettaient une arme sur la tempe et le tapaient avec la crosse s’il essayait de tourner la tête... C’est ce jour-là qu’ils nous ont changés de prison. Ils nous ont fait croire qu’on allait prendre la mer la nuit. En fait, ils nous ont emmenés à Zaouïa, une des pires prisons. Quand on est arrivés, les gardes avaient tiré sur des hommes. Ils baignaient dans leur sang par terre. Y’en a qui étaient morts. Y’en a qui sont morts dans la nuit. C’était terrible. Je suis restée là une semaine.   

La traversée de la Méditerranée centrale

Pour fuir « l’enfer libyen », hommes et femmes, parfois des familles entières, payent de fortes sommes à des passeurs. Le groupe est rassemblé de nuit, puis entassé sur des embarcations impropres à la navigation et surchargées, souvent sans suffisamment d’eau, de nourriture et de carburant pour traverser les quelque 300 kilomètres qui les séparent de l’Europe. Plusieurs personnes nous ont dit avoir refusé d’embarquer, mais y ont été contraintes par la menace d’une arme. 

Pendant la traversée sur les embarcations pneumatiques, les femmes et les enfants sont souvent placé.e.s au milieu du bateau car les hommes croient ainsi les protéger de l’exposition directe aux vagues, à la houle et au risque de tomber à la mer. Mais cet emplacement les expose davantage à l’écrasement, à la suffocation et à des brûlures sévères causées par un mélange d’eau de mer et de carburant, extrêmement corrosif pour la peau et dont les vapeurs sont toxiques. De plus, le fond des pneumatiques étant renforcé à l’aide de planches de bois assemblées par des clous qui dépassent, ces derniers provoquent fréquemment des blessures.

Dans les cas où l’embarcation prend l’eau, la panique gagne vite le bord, la plupart des naufragé.e.s ne sachant pas nager. Les personnes assises au fond de l’embarcation sont souvent les premières victimes de noyade à bord même de l’embarcation, des suites de bousculades, de piétinements et d’asphyxie. Dans certains bateaux en bois, elles sont entassées dans la cale où le risque d’étouffement et de noyade est accru. Si l’embarcation, instable, vient à chavirer, elles n’ont aucune chance. 

Nos équipes ont ainsi eu la terrible tâche de ramener à terre plusieurs corps sans vie d’hommes et de femmes retrouvés au fond de ces canots pneumatiques. Ce fut notamment le cas lors d’un sauvetage dramatique effectué par les équipes de l’Aquarius le 20 juillet 2016, relaté par la journaliste du journal Le Monde, Maryline Baumard, montée à bord lors de cette mission[12]. 22 corps furent retrouvés au fond de l’embarcation, parmi lesquels figuraient 21 femmes. 

« Ce 20 juillet, la mort s’est invitée sur l’Aquarius. »
Maryline Baumard, journaliste au journal Le Monde 

« Il était environ minuit quand leur canot a pris la mer, en même temps que d’autres embarcations. C’est vers 4 ou 5 heures du matin que la panique s’est installée à bord. "Notre bateau était percé dessous, l’eau a commencé à monter, le plancher s’est relevé, alors les gens ont paniqué. Ils ont essayé de bouger mais c’était impossible, vu le nombre de personnes présentes. Des filles qui étaient assises au milieu se sont trouvées prisonnières et ont été écrasées ou noyées dans l’eau mélangée à beaucoup d’essence renversée", raconte Ousmane [survivant de ce naufrage]. "A l’embarquement, deux d’entre elles étaient déjà très faibles. Elles ont été amenées là, mais [elles] toussaient tellement qu’elles n’ont pas supporté les premières vapeurs d’essence", complète Yacoub, 20 ans, l’ami d’Ousmane. Le jeune homme aimerait bien trouver des explications logiques à la mort de ces jeunes femmes. Dans le fond, il sait sûrement, comme le rappelle Ousmane, que "cette nuit, la peur de mourir a transformé chacun de nous en un guerrier qui lutte pour sa survie. Les gens hurlaient, priaient et tous ne pensaient qu’à sauver leur peau" ». 

ZEINEB 

19 ans, du Mali, faisait partie de l’embarcation où 90 personnes ont péri en mer. C’est la seule femme qui ait survécu.

Novembre 2016 

Dès le départ, des gens ont dit qu'on ne pouvait pas partir avec ce bateau, parce que le moteur faisait un drôle de bruit et qu'il y avait de l'eau au fond. On les a battus et jetés dedans […] Puis les vagues sont devenues plus fortes et le bateau a chaviré. La plupart ne savait pas nager. Le bateau était poussé par le vent. Les gens s'accrochaient les uns aux autres. Tout le monde criait. Le bateau était de plus en plus loin. Je ne sais pas comment j'ai réussi à le rattraper. Je ne sais pas nager. (…) Alors le grand navire est arrivé et ils ont lancé des gilets de sauvetage.  

Femme et son enfant, illustration de l'artiste Laec.

AINA

raconte son sauvetage alors que son embarcation coule.

Mars 2017

L’odeur de l’essence est entêtante. J’ai l’impression que je vais m’évanouir à tout instant. Malgré les vapeurs de carburant qui leur montent à la tête, les gens trouvent encore l’énergie pour paniquer en voyant l’eau monter à l’intérieur du bateau. Je suis sur le point d’abandonner… mais soudain la lumière d’un gros bateau apparaît à l’horizon. « Restez calmes ! ». Voilà les premiers mots que nous crient les sauveteurs en anglais, en français et en arabe. Mais je sens la panique croître en moi. Nous sommes en train de couler. À cause des vapeurs d’essence, je ne comprends plus rien, mon esprit divague. (…) Je ne sais pas comment s’appelait la femme morte à côté de moi.

Visage de femme pleurant, illustration de l'artiste Laec.

Sauvetage et interception

Lorsque les marins de l’équipe de sauvetage de SOS MEDITERRANEE débutent une opération de secours, après avoir calmé les naufragé.e.s et distribué des gilets de sauvetage à toutes les personnes en détresse, ils évacuent les cas médicaux urgents, puis cherchent d’abord à mettre en sécurité les femmes – particulièrement les femmes enceintes – et les enfants. Chaque enfant monte sur le canot de sauvetage avec sa mère ou une personne mandatée pour s’occuper de lui jusqu’à leur arrivée sur le navire principal. Mettre à l’abri les plus vulnérables en priorité est un principe universel du sauvetage en mer.

En 2018, la Libye s'est vu attribuer la responsabilité de la recherche et du sauvetage sur une large zone de la Méditerranée centrale (allant loin dans les eaux internationales), qui étaient jusque-là pris en charge par les garde-côtes italiens. Depuis 2018, l’Europe finance, équipe et forme les garde-côtes libyens pour intercepter les embarcations en détresse qui tentent de fuir cet enfer au péril de leur vie. Les personnes interceptées sont alors retourné.e.s de force en Libye, dans un cycle de violence et d’abus. Nombreuses sont celles qui nous ont dit :  « je préfèrerais mourir que retourner en Libye ». Certaines personnes rescapées nous ont affirmé avoir subi ces retours forcés à plusieurs reprises. Selon l’OIM, une personne sur deux fuyant la Libye par la mer a été ramenée de force dans ce pays et mise en détention « dans des conditions épouvantables »[13]

MISSION PROTECTION

Un abri pour les femmes et les enfants

Dès l’arrivée à bord de notre navire de sauvetage, l’équipe identifie les personnes les plus vulnérables - ayant été particulièrement exposées à des souffrances physiques et/ou psychologiques et nécessitant de fait une protection et une attention médicale et humanitaire appropriées. Cela concerne aussi les très jeunes filles et les femmes enceintes. Tou.te.s les membres de l’équipe à bord sont formés aux premiers secours psychologiques. Il s’agit avant tout de rester en alerte : écouter celles et ceux qui souhaitent parler ; repérer les plus reclus.e.s dans le silence ; et savoir passer le relais aux membres de l’équipe médicale lorsque les récits se font trop difficiles à entendre.

L’Ocean Viking dispose d’un espace réservé exclusivement à l’accueil des femmes et des enfants de moins de douze ans : dès leur arrivée, les femmes y sont amenées. Elles peuvent s’y changer, s’alimenter, se reposer et consulter l’équipe médicale. Aucun homme n’est autorisé à entrer dans cette zone, à aucun moment de la traversée, équipage inclus.

Dans cet espace sécurisé, la parole des femmes se libère parfois, bien que la plupart d’entre elles ne parlent pas de leurs expériences douloureuses. Parfois, ce sont les hommes à bord qui racontent le traitement épouvantable subi par les femmes en Libye.

visage de femme, illustration de l'artiste Laec.

MAHA

48 ans, de Syrie, a été interceptée deux fois par les garde-côtes libyens avec son fils de huit ans avant d’être secourue par SOS MEDITERRANEE.

Novembre 2021

La seule solution était de prendre la mer. Alors on a essayé, à trois reprises. Les Libyens [ndlr : les garde-côtes libyens] nous ont intercepté.e.s deux fois. La première fois, ils nous ont dit que l’on ne risquait rien, qu’ils étaient là pour nous secourir et ne nous enverraient pas en prison. C’était un mensonge. Une fois ramené.e.s au port, ils nous ont pris en photo et nous avons été emmené.e.s en prison [ndlr : centre de détention]. (…) J’ai décidé de réessayer. Je ne pouvais pas supporter de voir mon fils vivre une vie sans espoir. J’ai rassemblé tout le courage que je pouvais, et nous sommes reparti.e.s. Il faisait nuit, les vagues étaient hautes, j'avais le mal de mer. Mais cette fois, vous êtes apparu.e.s, et dès la première seconde, j'ai su que vous n'étiez pas les Libyens. Vous nous avez parlé avec respect et calme.

Retrouvez le témoigange de Maha en vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=8ZmiOLq9mQk

CHANT DE FEMMES : VIVIANA RACONTE

Viviana est l’une des femmes marins-sauveteuses de SOS MEDITERRANEE. Dans l’abri réservé aux femmes et aux enfants sur l’Aquarius puis sur l’Ocean Viking, elle accueille avec compassion les récits les plus terribles, les chansons les plus douces, les rires, les larmes aussi. 

Habituellement, les femmes dorment beaucoup quand elles arrivent. Elles sont épuisées par la nuit passée en mer, parfois par plusieurs jours à dériver, et par tout ce qu’elles ont vécu en Libye. Elles n’ont reçu que très peu de nourriture en centre de détention, elles sont faibles. On leur donne des couvertures. Parfois, certaines femmes dorment tellement longtemps que les membres d’équipage jouent avec les petits pour que les mamans puissent se reposer tranquilles. L’ambiance dans l’abri des femmes est détendue, calme. Quelque chose de magique s’en dégage…Ces femmes ne se connaissent pas, elles s’entraident, même avec les nouveau-nés, elles sont comme une famille unie.

Parfois, dans l’abri, les femmes chantent, leur voix est comme celle des anges. Cela crée une connexion magique entre elles. Je ne sais pas comment elles arrivent à chanter ensemble le même chant, c’est incroyable, elles viennent de différents pays, elles ne parlent pas la même langue, mais ces chansons sont si douces, si suaves ! Beaucoup de femmes pleurent aussi à ces moments-là.

Un jour, nous avons procédé à un sauvetage. Il y avait environ 400 personnes dans un bateau en bois. J’étais la chef du canot « Easy 3 », en charge de la communication avec les personnes rescapées. À un moment donné, nous avons fait monter dix femmes dans notre canot, des Érythréennes. Or nous avons dû patienter en mer en attendant que les deux autres canots de sauvetage évacuent des rescapés vers le navire-mère. L’une d’entre elle s’est adressée à moi. Elle s’exprimait au nom de toutes les autres car elle était la seule à parler anglais. Elle m’a dit ceci : « toutes les femmes ici veulent te remercier ! Tu es notre sœur ! Merci ! » Puis elles ont commencé à chanter. C’était un moment vraiment incroyable, en plein milieu de la mer, alors qu’elles venaient d’affronter la mort, c’était la première chose qu’elles faisaient : elles chantaient ! C’était leur façon de dire merci. Le chant des femmes érythréennes est vraiment très doux, très apaisant. C’était magnifique et incongru à la fois.

Les scènes de chants, entonnés par les femmes dans leur abri ou sur le pont avec les hommes, sont assez courantes - particulièrement lorsque, après plusieurs jours de blocage en mer, les autorités maritimes assignent enfin un port sûr où débarquer les personnes rescapées. L’un de ces moments magiques, alors que des femmes ont improvisé la chanson « Ocean Viking : il y a de quoi te faire confiance », a été filmé par Hippolyte, BD reporter à bord, en janvier 2021.

À voir et à écouter ici : https://sosmediterranee.fr/sauvetages/video-chanson-pour-ocean-viking/

Fédération des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, partenaire à bord pour la mission de protection

Depuis septembre 2021, la Fédération des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR) apporte un soutien post-sauvetage à bord de l’Ocean Viking, aux côtés des équipes de SOS MEDITERRANEE, jusqu’au débarquement dans un lieu sûr : soins médicaux, soutien psychologique, protection mais aussi réponse aux besoins de première nécessité des personnes rescapées. L'équipe médicale et de protection comprend en général un.e médecin, un.e infirmièr.e, un.e sage-femme et des professionnel.le.s capables d’identifier et d'aider les personnes particulièrement vulnérables et nécessitant une protection particulière, comme les femmes enceintes, les mineur.e.s non accompagné.e.s et les victimes de la traite des êtres humains.

Les consultations à bord

L’Ocean Viking dispose d’une clinique à bord avec un.e coordinateur.trice médical.e, un.e médecin, un.e infirmier.e et une sage-femme. Outre les premiers secours, les affections les plus fréquemment rencontrées y sont traitées pour toutes les personnes rescapées : graves brûlures cutanées dues au mélange d’essence et d’eau de mer dans l’embarcation, déshydratation, hypothermie, maladies de la peau liées aux conditions de détention en Libye comme la galle, affections pulmonaires, dénutrition, blessures par balles et mauvais traitements, séquelles psychologiques liées aux sévices subis en Libye, douleurs généralisées...

En charge des soins aux femmes et aux jeunes enfants, la sage-femme reçoit souvent les confidences des femmes. Elle leur propose un examen clinique et à celles qui le souhaitent, un test de grossesse.

Soin de brulures cutanées dues au mélange d'essence et d'eau de mer au fond du bateau.
Echographie
Pauline, sage-femme à bord de l'Ocean Viking.

Trois questions à Pauline, sage-femme à bord de l’Ocean Viking

1. Dans quel état de santé se trouvent les femmes que vous rencontrez

Outre les pathologies également rencontrées chez les hommes [voir au-dessus], les femmes secourues par SOS MEDITERRANEE depuis 2016 ont subi des violences physiques, psychologiques et sexuelles durant leur parcours migratoire... Ces dernières entraînent d’immenses souffrances, une perte de dignité et des conséquences médicales et psychologiques à court et long terme. Les femmes peuvent contracter des infections sexuellement transmissibles ou encore faire face à des grossesses non désirées. Or, la plupart n’ont pas eu accès à des soins depuis plusieurs mois, voire plusieurs années. Les infections et les grossesses non désirées qui ne sont pas prises en charge médicalement en Libye peuvent également entraîner des complications telles que des douleurs pelviennes chroniques, des maladies inflammatoires pelviennes, une infertilité… Cela a des conséquences sur la santé mentale : anxiété, dépression, comportements addictifs, ou encore des tendances à l’isolement social qui peuvent parfois conduire à des comportements suicidaires. Les femmes enceintes sont aussi particulièrement vulnérables puisqu’écartées de tout soin de prévention et de suivi relatif à la grossesse.

2. Quels sont les principaux soins que vous leur prodiguez ?

Nous sommes en mesure d’apporter des premiers soins médicaux grâce à une clinique installée sur le pont arrière de l’Ocean Viking. Nous y recevons toutes les femmes enceintes afin de surveiller le bon déroulement de leur grossesse, d’identifier les éventuelles pathologies et d’en prévenir les complications, et éventuellement, pour prendre en charge un accouchement et prodiguer les premiers soins au nouveau-né. Il nous arrive aussi de demander aux autorités maritimes une évacuation médicale selon l’urgence de la situation. Nous expliquons aux femmes rescapées (ainsi qu’aux hommes) la prise en charge médicale que l’on peut proposer aux personnes qui ont subi des violences sexuelles. Si l’agression a eu lieu dans les cinq jours précédant leur arrivée sur notre navire, une contraception d’urgence peut être proposée. Nous disposons en outre de traitements pour prévenir des infections sexuellement transmissibles (VIH, Hépatite B et autres IST).

3. Quel souvenir emportez-vous de votre action en mer ? 

Au-delà des soins médicaux que l’on peut offrir, nous espérons pouvoir apporter un peu d’écoute et de bienveillance. Ainsi, certaines femmes m’ont confié une partie de leur histoire dont elles n’avaient jamais parlé auparavant. Cela me paraît important qu’elles se soient senties libres de partager ce qu’elles ne peuvent souvent pas raconter à leur famille ou à leurs proches, et qui leur permettra peut-être de partir un tout petit peu plus légères pour continuer leur chemin de vie. Malgré les épreuves traversées et les évènements vécus, ces femmes gardent espoir. Le courage et la force que cela mobilise me saisit. Pour certaines, l’espoir est celui de vivre un jour dans un pays en paix, pour d’autres, il s’agit de faire des études ou encore de permettre à leurs enfants d’avoir une chance de sortir du cycle de violences dans lequel ils ont grandi. Voir ces femmes et ces enfants s’ouvrir au fur et à mesure des jours à bord, sourire et échanger, est pour moi un souvenir très fort. 

Mères courage : six naissances sur l'Aquarius

Certaines femmes voyagent avec de jeunes enfants, parfois des nourrissons qui ont vu le jour dans les centres de détention insalubres en Libye. Parfois elles ont quitté leur pays pour protéger leurs enfants – d’une excision imminente, de violences familiales, d’un manque d’accès aux soins… – ou simplement pour leur offrir un avenir meilleur. D’autres femmes – y compris des adolescentes – arrivent à bord enceintes, parfois très près du terme. Depuis le début des opérations en mer de SOS MEDITERRANEE en février 2016, six femmes ont donné la vie dans la clinique de l’Aquarius.

Destiné-Alex : nommé en l’honneur du capitaine de l’Aquarius

Fin mai 2016, grand moment de bonheur pour les équipages, plus habitués aux drames qu’aux réjouissances à bord. Bernadette accouche d’un joli garçon qu’elle et son compagnon David prénomment Destiné-Alex, en l’honneur d’Alex, le capitaine de l’Aquarius.

Newman : une nouvelle vie pour un nouveau (petit) homme

Faith et Otas ont entrepris la traversée de la Méditerranée avec leurs deux autres enfants, âgés de cinq et sept ans. Au départ de la Libye, sur un pneumatique surchargé, la maman ressent ses premières contractions, mais heureusement, elle ne donnera naissance à Newman qu’une fois à bord de l’Aquarius, sous la supervision de l’équipe médicale, le 12 septembre 2016.

Favour : quatre sauvetages et une naissance

Cynthia a quitté le Nigeria à la suite du décès de son mari et se retrouve au large de la Libye sur une petite barque en bois, enceinte de neuf mois. Quatre embarcations sont secourues par SOS MEDITERRANEE ce jour-là, dont la sienne. En ce 11 décembre 2016, la sage-femme Marina, se réjouit : « C'était une très longue journée, et nous étions tous très fatigués, mais cette naissance a rendu tout le monde si heureux ! »

Mercy : une chanson sur la seule fille née à bord à ce jour

Le 21 mars 2017, Taïwo donne le jour à Mercy, un prénom qui signifie « miséricorde ». Cette naissance sur l’Aquarius fait l’objet d’un tweet d’un journaliste présent à bord, qui inspirera la chanson « Mercy » du duo « Madame Monsieur », nominée pour représenter la France au concours de l’Eurovision 2018.

Lire à ce propos le communiqué de SOS MEDITERRANEE « Mercy, la chanson hommage aux naufragés en Méditerranée à l’Eurovision 2018 ».

Christ : il voit le jour dans un bateau en bois à la dérive

L’histoire incroyable de Christ, né en juillet 2017, est unique pour les équipes de SOS MEDITERRANEE. Sous un soleil de plomb, une jeune femme camerounaise vient d’accoucher en pleine mer, entourée d’inconnus, dans une barque surchargée. Au moment de la faire monter sur l’Aquarius, le nouveau-né était toujours relié à sa mère par le cordon ombilical.

Miracle : un survivant célébré sur le pont

Il est 15h45, en ce 26 mai 2018, lorsque Miracle voit le jour dans la clinique de l’Aquarius. Après avoir survécu aux sévices subis durant une année en Libye et à la traversée en mer, sa jeune maman lâche dans un souffle : « Miracle ». Présenté aux autres personnes rescapées sur le pont par la sage-femme, le garçon de 2,8 kg est accueilli dans la liesse.

Le débarquement

Selon le droit maritime, un sauvetage n’est terminé que lorsque les personnes secourues sont débarquées dans un lieu sûr. Entre 2018 et 2022, l’attente de l’assignation d’un port de débarquement par les autorités maritimes peut durer plusieurs jours, parfois même des semaines, affaiblissant encore davantage les personnes les plus vulnérables. Il arrive régulièrement que des femmes enceintes près du termes soient évacuées d’urgence.

Le moment des adieux, avant de rejoindre la terre ferme, est souvent empreint d’émotion après des moments aussi intenses. Les femmes, les enfants et les hommes repartent vers un avenir incertain avec pour seul bagage le rêve d’une nouvelle vie.

Portrait de femme, par l'illustratrice Laec.

MARIAM

de Libye, voyage avec son mari et leurs quatre enfants âgé.e.s de 6 à 12 ans pour échapper au chaos dans son pays.

Septembre 2021

Il n'y a aucune sécurité et aucun avenir en Libye. Le seul moyen de sauver ma famille et mes enfants était de prendre la mer. Je ne peux pas imaginer que mes enfants deviennent des miliciens ou des passeurs. Je ne peux pas laisser cela se produire. (…) Je veux que mes enfants soient bien éduqués, qu'ils se comportent bien, qu'ils soient empathiques et qu'ils se construisent une vie qui vaille la peine d'être vécue. Je ne veux pas qu'ils fassent des métiers amoraux juste pour avoir de l'argent.

Portrait de femme

Aller plus loin

Retrouvez tous les témoignages de femmes, des hommes et des enfants secourus par SOS MEDITERRANEE sur https://sosmediterranee.fr/temoignages-de-rescapes

Autres recueils de témoignages de personnes secourues pas SOS MEDITERRANEE
En librairie
  • Les Naufragés de l’enfer – Témoignages recueillis sur l’Aquarius. Marie Rajablat (textes) et Laurin Schmid (photos), éditions Digobar, réédition 2020
  • Les Damnées de la mer – Femmes et frontières en Méditerranée. Camille Schmoll, éditions Découvertes, novembre 2020
À revoir

Conférence en ligne « Femmes en Méditerranée : visages et parcours de migration » : www.sosmediterranee.fr/journal-de-bord/femmes-live

Crédits 

Les illustrations de ce recueil de témoignages ont été réalisées gracieusement par la graffeuse française Laec, sur la base de photographies de femmes rescapées secourues par les équipes de SOS MEDITERRANEE. Elle s’est inspirée de photographies prises à bord de nos navires par Laurin Schmid, Hara Kaminara et Hannah Wallace Bowman.

Voir son travail sur Instagram : www.instagram.com/laec.art

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