Contexte en Méditerranée centrale
24 038*
PERSONNES ONT PÉRI EN MÉDITERRANÉE CENTRALE DEPUIS 2014
78,8%*
DES DÉCÈS EN MÉDITERRANÉE DEPUIS 2014 SE SONT PRODUITS EN MÉDITERRANÉE CENTRALE
19 010*
PERSONNES ONT ÉTÉ INTERCEPTÉES PAR LES GARDE-CÔTES LIBYENS EN 2024
La route migratoire maritime la plus mortelle au monde
Chaque année des milliers de personnes tentent de traverser la mer Méditerranée dans des embarcations précaires, impropres à la navigation et surchargées. Après avoir fuit des situations insoutenables dans leur pays d’origine ou sur la route migratoire - guerre, violences, pauvreté - elles prennent tous les risques pour échapper à ce que nombre d'entre elles décrivent comme "l'enfer libyen".
La Méditerranée centrale demeure aujourd’hui la route maritime migratoire la plus mortelle au monde. Cette mortalité importante s’explique entre autres par la très grande distance (300 à 400 km) qui sépare les côtes de la Libye et celles de l’Italie, le manque cruel de capacités de recherche et de sauvetage étatiques déployées en Méditerranée centrale, auquel s’ajoute les entraves à l'encontre des navires des ONG et une coordination déficiente, voire inexistante, des garde-côtes libyens.
Historique
2013 - 2014 - MARE NOSTRUM, une opération de la marine italienne abandonnée par l’Union européenne
A la suite d’un terrible naufrage au large de Lampedusa, l’Italie lance l’opération de recherche et de sauvetage Mare Nostrum le 18 octobre 2013 afin de « prêter assistance à quiconque est trouvé en péril en mer ». Plus de 150 000 vies sont sauvées. Mais le 31 octobre 2014, l’Italie met fin à l’opération en raison du manque de soutien de l’Union européenne. Mare Nostrum est remplacée par Triton, dont le but premier n’est plus de sauver des vies mais de contrôler les frontières. Malgré l’absence de navires de secours en mer, les gens continuent à fuir la Libye. Résultat : plusieurs milliers d’hommes, de femmes et d’enfants meurent noyés en tentant la traversée.
2018 - Fermeture des ports italiens et criminalisation des bateaux de sauvetage
Après la fermeture des ports italiens aux navires de sauvetage en juin 2018, l’odyssée de l’Aquarius, contraint de débarquer à Valence en Espagne les 630 rescapés à son bord, inaugure une longue série de blocages en mer. Les navires, quels qu’ils soient, sont bloqués des jours voire des semaines avant qu’une solution de débarquement ad hoc ne soit proposée par quelques Etats européens, avec une répartition des rescapés par quotas. Le droit maritime prévoit pourtant que les navires doivent être relevés de la responsabilité du sauvetage aussi vite que possible et que les survivants soient traités humainement. En mer, les navires immobilisés ne peuvent secourir d’autres personnes en détresse. La capacité de sauvetage est encore réduite et la mortalité explose, pour atteindre le taux record de 5,6% (contre 2,4% en 2017) sur l’axe Libye - Italie alors même que le nombre de traversées était divisé par cinq (Source UNHCR, https://data2.unhcr.org/en/situations/mediterranean/location/5205)
2020 - Pandémie et nouvelle remise en cause du sauvetage en mer
Les signes prometteurs d’une amélioration de la situation de blocage des navires humanitaires fin 2019 et début 2020 sont brutalement balayés lorsque la pandémie de Covid-19 atteint le continent européen en mars 2020. Non seulement elle entraîne de graves perturbations dans l’accès aux services médicaux et logistiques dans la plupart des États européens, mais elle désorganise totalement le monde maritime : fermeture des frontières européennes, impossibilité de relever les équipages, ports fermés - notamment aux navires de croisière -, bateaux mis en quarantaine… Très vite, plusieurs États membres de l’Union européenne (UE) tels que Malte et l’Ita - lie annoncent officiellement qu’ils ne sont plus en mesure de fournir un lieu sûr ou d’aider au débarquement des personnes secourues en mer . Le gouvernement de Tripoli déclare en avril que ses propres ports ne sont pas sûrs pour le débarquement en raison des bombardements en cours. Durant plusieurs semaines, les ONG de recherche et de sauvetage opérant en Méditerranée centrale sont contraintes de suspendre leurs activités. Alors que les capacités de recherche et de sauvetage y faisaient déjà gravement défaut, la Méditerranée centrale se transforme en trou noir au printemps 2020. Les témoins se font rares mais certaines organisations internationales et ONG relayant les appels de détresse témoignent de départs continus de frêles embarcations depuis les côtes libyennes. Les tragédies se multiplient.
2022 - Blocages prolongés en mer : l’Ocean Viking à Toulon
Plus que jamais en 2022, la coordination des secours en mer a été défaillante et les personnes secourues par des navires d’ONG ont été soumises à d’interminables attentes en mer avant d’être autorisées à débarquer en lieu sûr. De janvier à octobre, ces périodes de blocage ont augmenté au fil des mois, atteignant en moyenne neuf à dix jours d’attente sur l’Ocean Viking. Début novembre, aucun des centres de coordination des sauvetages compétents et à proximité du lieu de détresse (Libye, Malte et Italie) n’ayant répondu à ses multiples demandes de port sûr durant trois semaines entières, l’Ocean Viking a dû se tourner vers des pays plus éloignés, notamment la France, pour débarquer. Le 11 novembre, c’est à Toulon que le navire de SOS MEDITERRANEE a finalement débarqué, une première.
« 2024 – Les ONG déclarent que le décret Piantedosi vide la Méditerranée des ONG de sauvetage »
Le 23 février 2024, 21 ONG ont dénoncé les centaines de jours perdus en mer par les navires de sauvetage et demandé aux autorités italiennes de cesser d’entraver les activités de recherche et de sauvetage des ONG et de protéger les droits fondamentaux des personnes naufragée en mer ; de favoriser une coopération efficace avec les navires de sauvetage des ONG et de déployer des navires dédiés à la recherche et au sauvetage en Méditerranée centrale afin d’éviter de nouvelles pertes de vies humaines en mer ; et enfin à l’UE et ses États membres de cesser tout soutien matériel et financier aux garde-côtes libyens et aux gouvernements responsables de graves violations des droits de l’homme.
2017 - Financement des garde-côtes libyens par l'Union Européenne
Le 3 février 2017, les chefs d’Etats européens réunis à Malte ont signé la Déclaration de Malte, qui annonce l’affectation de 200 millions d’euros à la Libye, notamment pour le financement, la formation et l’équipement des garde-côtes libyens. La ligne directrice de cette politique consiste à réexternaliser la question migratoire auprès des autorités de ce pays. La stratégie européenne se traduit par la multiplication des interceptions d’embarcations par les garde-côtes libyens. Les personnes à bord sont ramenées en Libye et internées dans des centres de détention ou leur intégrité physique et le respect de leurs droits les plus élémentaires ne sont absolument pas assurés. Cela, en totale contradiction avec le droit maritime et humanitaire international. En effet, les conventions maritimes (notamment SAR et SOLAS) définissent l’obligation de débarquer les rescapé.e.s dans un « lieu sûr » où leur vie n’est pas mise en péril, leurs besoins humains fondamentaux satisfaits et leurs droits fondamentaux protégés, dans le respect du principe de non-refoulement. Au vu des conditions qui y règnent, la Libye ne peut en aucun cas être considérée comme un lieu sûr.
2019 - Moins d'arrivées par la mer mais une mortalité en hausse
Après des mois d’impasse, à l’été 2019, plusieurs États membres de l’UE commencent à discuter d’un mécanisme temporaire de débarquement et de répartition des personnes secourues en Méditerranée centrale. Cette initiative franco-allemande fait alors l’objet d’une déclaration d’intention prometteuse signée entre l’Italie, Malte, la France et l’Allemagne en septembre. Mais le projet-pilote, qui prévoyait un mécanisme pérenne ralliant d’autres États membres, peine à voir le jour.
En septembre 2019, pour la première fois depuis le refus de débarquer 630 rescapés de l’Aquarius en juin 2018, les ports italiens permettent à un navire d’ONG d’accoster : l’Ocean Viking . L’espoir d’une amélioration de la situation de blocage des navires humanitaires voit le jour au gré des réunions européennes autour de la question des débarquements. Toutefois, les cas d’attente en mer se multiplient avec la négociation au cas par cas de la répartition des rescapés avant même qu’ils ne soient débarqués.
En 2019, le nombre d’arrivées en Europe par les trois routes migratoires méditerranéennes est à son plus bas niveau depuis 2015 : 123 700 arrivées, contre 141 500 en 2018, selon les chiffres du Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR). Avec 59 700 arrivées par la mer en 2019, contre 26 200 en Espagne et 11 500 en Italie, la Grèce enregistre le plus grand nombre d’arrivées par la mer, alors qu’il s’agissait de l’Espagne l’année précédente. Malgré cette baisse majeure des arrivées en Italie depuis trois ans, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) déplore un lourd bilan humain en 2019. La Méditerranée centrale enregistre la majorité des décès en mer Méditerranée : 1 262 des 1 885 morts recensés sur les trois axes migratoires méditerranéens, sans compter les embarcations disparues sans laisser de traces. La mortalité en Méditerranée centrale a plus que doublé par rapport à 2018 pour atteindre le taux record de 4,78 %, selon l’OIM.
2021 - L’année la plus meurtrière en Méditerranée depuis 2017
L’année 2021 a été marquée par une aggravation de la crise humanitaire en Méditerranée centrale. Tant le nombre de personnes décédées en mer que le nombre de personnes refoulées de force vers la Libye ont fortement augmenté. 1 553 personnes ont perdu la vie en mer Méditerranée centrale, entre la Libye et l’Europe, au cours de l’année 2021 (IOM, Missing Migrants Project). Cela représente une augmentation de plus de 50% en comparaison avec 2020. Alors que le nombre de personnes décédées en mer avait diminué d’années en années de 2016 à 2020, la tendance s’inverse et la situation s’aggrave à nouveau.
2023 - Le « décret Piantedosi » criminalise davantage les ONG
Le 2 janvier 2023, le gouvernement italien publiait un décret-loi édictant de « nouvelles règles » pour les navires des ONG de recherche et de sauvetage, accompagnées de lourdes amendes et sanctions. Ces détentions de navires humanitaires qui viennent en aide aux embarcations en détresse après avoir obtenu un port sûr concourent encore davantage au manque de secours en Méditerranée centrale et donc à la mortalité, en hausse depuis 2020.
En parallèle, l’attitude des autorités maritimes italiennes changeait radicalement dès la fin d’année 2022 : désormais, dès qu’un navire humanitaire porte secours à une embarcation en détresse, elles assignent aussitôt un lieu sûr, mais celui-ci est systématiquement très éloigné, leur imposant plusieurs jours de navigation supplémentaires et des souffrances inutiles pour les rescapé.e.s.
Cela a pour conséquence de vider la zone de détresse des quelques navires de sauvetage civils encore opérationnels. Ces trajets doublent en outre la consommation en fuel des navires, grevant sérieusement le budget des ONG, sans compter les amendes imposées pour avoir sauvé des vies en mer.