Carnets d’Hippolyte BD reporter à bord de l’Ocean Viking, épisode 16 – L’incertitude

23 juillet.

Le 21 juillet se terminait la quatorzaine de l’équipage de l’Ocean Viking.

Après 14 jours en confinement dans le port de Porto Empedocle, en Sicile.

Après les 11 jours d’attente en mer pour débarquer les 180 rescapés sauvés en Méditerranée.

Cet axe migratoire qui est le plus meurtrier du monde.

Dénué depuis des jours de tout bateau de secours.

L’équipe allait pouvoir descendre à terre, et pour la plupart rentrer chez eux.

Et le bateau retourner sauver des vies en mer.

Enfin.

Mais hier soir, l’information est tombée : le bateau est immobilisé en Italie.

Le principal motif de détention notifié par les garde-côtes italiens s’énonce comme suit : “le navire a transporté plus de personnes que le nombre autorisé par le certificat de sécurité pour navire de charge”.

Des rescapés ne sont pas des passagers.

Un navire de secours ne choisit pas le nombre de vies à sauver ou à laisser en mer.

Je ne sais toujours pas quand je vais pouvoir embarquer avec la nouvelle équipe. Quand l’Ocean Viking va reprendre la mer. Nous attendions des nouvelles, les équipes étaient débordées et à cran. Déjà deux semaines d’attente depuis mon arrivée sur Marseille. Et il y aura encore une quatorzaine avant de pouvoir monter sur le navire. Puis le temps de trouver un port de débarquement pour les rescapés en cas de sauvetage en mer. Et enfin une nouvelle quatorzaine potentielle au retour. Un chemin pavé d’incertitudes. Le temps de l’usure.

Je pourrais presque commencer à m’impatienter. Mon fils me manque. Les êtres qui me sont chers me manquent. Chaque jour d’attente qui passe m’éloigne du moment où je vais les retrouver. Jamais je n’avais été éloigné si longtemps. Pour autant de temps. Sans savoir pour combien de temps. Sans pouvoir le dire. Sans avoir aucune certitude.

L’incertitude. C’est le mot qui colle sans doute le mieux au destin de l’Ocean Viking aujourd’hui, plus que jamais.

Qui colle le mieux aux différentes équipes de SOS MEDITERRANEE.

L’incertitude du maintien des évènements, de pouvoir solliciter des dons qui les font vivre, d’un reconfinement.

L’incertitude d’une réponse favorable des États, de pouvoir reprendre la mer.

De pouvoir sauver des vies.

L’incertitude.

Qui use, qui ronge, qui tend, qui abime, qui donne envie d’abandonner.

Nous pourrions avoir ce choix.

Nous ne l’avons pas.

Nous aurions l’air de quoi ?

L’incertitude.

Le mot qui colle le mieux aux destins de ces familles, ces hommes, ces femmes, ces enfants, qui fuient leur pays.

L’incertitude de pouvoir quitter l’enfer.

L’incertitude du bateau qui tient en mer.

L’incertitude du voyage.

L’incertitude de vivre.

Ils n’ont pas de choix.

Nous attendons tous.

Nous attendons avec une seule certitude.

Il y a urgence.

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