Conséquences des nouvelles mesures contre les ONG
20 juin 2023
Depuis fin 2022, le nouveau mode opératoire imposé par les autorités italiennes affecte drastiquement la capacité opérationnelle des ONG de sauvetage toujours en action en Méditerranée centrale. Résultat, la mortalité augmente et le coût des opérations explose.

« Ce mois d’avril nous a rappelé avec horreur la situation d’urgence humanitaire en Méditerranée centrale et les conséquences de la nouvelle tendance qui consiste à assigner des lieux sûrs éloignés aux navires des ONG », explique Daniel, marin-sauveteur à bord de l’Ocean Viking. Dans une brève vidéo, il souligne que le mois d’avril a été le plus meurtrier depuis 2017 et que sur cette période notre navire a été éloigné pendant 17 jours de la zone de recherche et de sauvetage et a dépensé 80 000 € de plus en fuel pour couvrir les 5000 Km supplémentaires imposés par ces nouvelles directives.  « Cette hausse des coûts pourrait empêcher les ONG de poursuivre leur mission de sauvetage à plus long terme », précise-t-il.   

Aujourd’hui, une journée en mer coûte 24 000 euros à l’association.

Dès le mois de décembre 2022, avant même la publication du décret par le gouvernement italien le 2 janvier 2023, promulgué en loi depuis, des ports de débarquement ont été immédiatement attribués aux navires humanitaires après un sauvetage, mais ces ports sont très éloignés de la zone de détresse de Méditerranée centrale, quand ils ne sont pas littéralement à l’opposé du territoire italien (à 1000, voire 1 300 km de navigation). Les navires humanitaires reçoivent instruction de les rallier sans délai, sous peine d’amende ou de détention et ne peuvent plus optimiser leur présence sur place en recherchant d’autres embarcations en détresse. 

Ports attribués à l’Ocean Viking en 2022 et 2023 

DÉBARQUEMENTS DE L’OCEAN VIKING     

2022 

19-20 février, Pozzallo, 247 rescapé.e.s env. 300 Km (1 jour)  

29 mars, Augusta, 159 rescapé.e.s env. 300 Km  

5-6 mai, Pozzallo, 294 rescapé.e.s env. 300 Km  

31 mai, Pozzallo, 294 rescapé.e.s env. 300 Km  

6-7 juillet, Pozzallo, 306 rescapé.e.s env. 300 Km  

1er août, Salerne, 387 rescapé.e.s env. 750 km (2 jours) 

4 septembre, Tanrente, 459 rescapé.e.s env. 700 km 

11 novembre, Toulon (France), 230 rescapé.e.s env. 1350 km (4 jours) 

31 décembre, Ravenne, 113 rescapé.e.s env. 1350 km (4 jours) 

2023 

10 janvier, Ancône, 37 rescapé.e.s  env. 1575 km (4 jours) 

29 janvier, Carrare, 95 rescapé.e.s  env. 1500 km (3 jours) 

18 février, Ravenne, 84 rescapé.e.s env. 1500 km (4 jours) 

4 avril, Salerne, 92 rescapé.e.s  env. 833 km (2 jours) 

23 avril, Bari, 29 rescapé.e.s  env. 770 (2 jours) 

2 mai, Civitavecchia, 168 rescapé.e.s env. 940 km (3 jours) 

Note : la distance depuis la zone d’opération jusqu’au port désigné par les autorités maritimes ainsi que le nombre estimé de jours de navigation peuvent varier en fonction du lieu où le sauvetage s’est produit, les conditions météo, le nombre de personnes rescapées à bord, les alertes d’autres embarcations en péril reçues après un sauvetage, etc.  Les trajets sont donnés à titre indicatif. Crédits : SOS MEDITERRANEE 

Les temps de navigation et donc la consommation de carburant s’accroissent considérablement, ce qui provoque de nouveau une forte hausse des coûts opérationnels, en plus du doublement des prix du carburant en 2022.  

Face à ces évolutions, l’un des principaux défis pour les ONG comme SOS MEDITERRANEE est donc d’ordre économique. Dans un contexte de forte inflation, alors qu’aucun financement d’État ou européen n’est consacré au sauvetage en Méditerranée centrale, réunir les fonds pour soutenir les besoins financiers en hausse constante constitue un défi sans cesse renouvelé.  

 Six personnes meurent chaque jour en Méditerranée centrale 

Encore plus grave, proposer des lieux sûrs très éloignés a pour conséquence de tenir les navires humanitaires hors des zones de détresse pendant de trop nombreux jours, alors même que les moyens de sauvetage y font toujours cruellement défaut et que la coordination par les autorités est défaillante depuis des années.  

Dans le même temps, le nombre de traversées étant en forte augmentation depuis les côtes libyennes et tunisiennes, la mortalité atteint des niveaux inégalés depuis 2017 sur les premiers mois de l’année 2023, comme en atteste l’Organisation internationale pour les migrations1

Ainsi, témoigne Claire Juchat, actuellement à bord de l’Ocean Viking, depuis le début de l’année, « chaque jour en moyenne, six personnes meurent en Méditerranée centrale. La grande majorité de ces personnes ont moins de 25 ans : autant de femmes, de bébés, de mineur.e.s qui viennent agrandir le cimetière qu’est devenu la Méditerranée. Lors de ma dernière mission, le plus jeune avait deux semaines. Il aurait pu mourir, comme toutes les autres personnes qui reposent désormais au fond de la mer, et à qui je ne peux offrir que ma douleur. » 

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