« Nous avons déjà vu la mort plusieurs fois en Libye et en mer, nous ne pouvions pas retourner dans notre pays. » Zentani et Salwa, secourus en juillet 2021 par les équipes de SOS MEDITERRANEE, témoignent de leurs souffrances en Libye et de l’urgence de prendre la mer.
Zentani* et Salwa* sont originaires de Yefren, en Libye. Ils ont quatre enfants, une fille et trois garçons, dont un est en situation de handicap. La famille a été secourue par les équipes de SOS MEDITERRANEE le 1er juillet 2021, à bord d’une embarcation en bois en détresse dans les eaux internationales, dans la zone de recherche et de sauvetage maltaise. Trois autres familles libyennes et deux personnes originaires d’Égypte étaient parmi les personnes rescapées lors de ce premier sauvetage de l’Ocean Viking. Pendant le sauvetage, un patrouilleur des garde-côtes libyens s’est approché à deux reprises. Leur présence a suscité de la peur parmi les trente personnes en détresse, dont des jeunes enfants. La peur et la panique ont compliqué le sauvetage et rendu l’opération plus dangereuse pour toutes les personnes impliquées. Une fois en sécurité à bord, Zentani et Salwa ont voulu témoigner de la situation en Libye.
Zentani avait l’habitude de mettre en garde les personnes qui souhaitaient traverser la Méditerranée en bateau : « C’est trop dangereux, n’y allez pas, les chances sont trop minces », disait-il. Mais la situation en Libye est devenue insupportable pour la famille. Zentani et Salwa étaient tous deux employés de petits magasins, mais ils expliquent à notre équipe qu’ils devaient souvent attendre des mois avant d’être payés. Lorsqu’ils recevaient enfin un salaire, il n’était souvent payé que deux mois sur les sept où ils travaillaient, gagnant moins de 100 dollars par mois, une somme loin d’être suffisante pour faire vivre leur famille.
« Il n’y a pas de système de santé ou de système qui fonctionne dans le pays, la violence est partout. Même si nous entendons dans les médias qu’il y a un processus de paix en cours, la réalité est différente : les milices sont partout, elles se battent les unes contre les autres pour prendre le contrôle, elles se battent même pour l’électricité », dit Salwa. Elle explique qu’une milice a bombardé le système électrique de sa ville, coupant l’alimentation pour tout le monde pendant quatre jours alors que les températures atteignaient jusqu’à 49 degrés. « C’était insupportable. Mon fils est en situation de handicap, il ne peut ni marcher ni parler, il a besoin de soins mais en Libye, ils ne reconnaissent pas ses handicaps. Les autorités pensent qu’il a seulement besoin de dormir et de manger. Il n’y a pas de soins spécialisés là-bas. Je suis partie pour mon fils », raconte Salwa.
« Nous n’en pouvions plus en Libye, nous devions tenter notre chance même si nous savions à quel point c’était risqué. Nous avons vu la mort de nos propres yeux en Libye et dans la Méditerranée. Les vagues étaient hautes, l’eau a commencé à entrer dans le bateau, les enfants pleuraient », raconte Zentani. L’Ocean Viking a cherché la petite embarcation en bois en détresse pendant deux heures, tandis que Zentani, Salwa, leurs quatre enfants et 24 autres personnes commençaient à perdre espoir. Ils avaient quitté Zuwara deux jours auparavant. Une fois l’Ocean Viking arrivé sur les lieux, un patrouilleur des garde-côtes libyens est passé à proximité à grande vitesse. Le patrouilleur Fezzan a appelé l’Ocean Viking par radio, demandant à l’équipe sur le pont de changer de cap afin de pouvoir intercepter l’embarcation en détresse. Le coordinateur de la recherche et du sauvetage a insisté sur le fait que le cas de détresse se trouvait dans la zone de recherche et de sauvetage maltaise et que l’Ocean Viking était en mesure d’apporter son aide conformément au droit de la mer, et de fournir des soins médicaux aux personnes rescapées. Le patrouilleur libyen a finalement quitté la zone mais est réapparu sur les lieux alors que les équipes de SOS MEDITERRANEE se préparaient à effectuer l’opération de sauvetage. L’Ocean Viking a appelé les autorités maltaises pour demander des instructions au centre de coordination des secours responsable de cette zone, mais aucune n’a été fournie.
Zentani raconte que lorsqu’il a vu le navire des garde-côtes libyens, il a été horrifié. « Je leur ai dit que nous nous jetterions à l’eau s’ils essayaient de nous ramener en Libye. Nous avons déjà vu la mort plusieurs fois en Libye et en mer, nous ne pouvions pas retourner dans notre pays. » Les garde-côtes libyens n’ont finalement pas intercepté l’embarcation en bois et l’équipe de SOS MEDITERRANEE a effectué le sauvetage. « Nous étions très anxieux car le navire libyen est resté près de nous pendant toute l’opération de sauvetage, nous ne savions pas s’ils allaient revenir », ajoute Salwa.
Leur famille faisait partie des 572 personnes secourues par l’Ocean Viking en juillet 2021, après six sauvetages effectués en trois jours. « Je tiens à remercier l’équipe de SOS MEDITERRANEE de nous avoir traités comme des êtres humains, ce que nous n’avions pas ressenti depuis longtemps », conclut Zentani.
* Les prénoms ont été modifiés pour protéger l’identité des personnes qui témoignent.
Crédits : Flavio Gasperini / SOS MEDITERRANEE