Un portrait

Une histoire

Aretta*

Nigéria

Pays d'origine

« Ils nous poussaient, ils volaient tout et nous battaient très fort si nous n’avions pas d’argent. »

Afin que leur histoire ne soit pas oubliée, nous publions aujourd’hui les témoignages traduits de l’anglais des personnes qui ont tenté de traverser la Méditerranée centrale pour échapper à l’enfer libyen. Ce récit, recueilli il y a plusieurs années par les équipes de SOS MEDITERRANEE, raconte l’histoire d’une femme, veuve, qui a tout quitté pour offrir un meilleur avenir à ses enfants.
 

Témoignage recueilli sur l’Aquarius le 14.03.2018

C’est une belle femme. Elle allaite un bébé de trois mois tout en me racontant sa vie.

Elle a deux autres enfants (huit et quatre ans) qu’elle a laissés dans son pays d’origine, auprès de sa mère. Elle a décidé de ne pas les emmener avec elle, car elle savait que la Libye était un pays très dangereux. Elle pensait néanmoins que c’était un pays riche où il était facile de trouver un emploi.

Elle m’explique que sa vie au Nigeria était très dure. Elle vivait dans un petit village avec sa famille : sa mère et ses quatre frères, son père était mort. Sa mère souffrait beaucoup, ne sachant pas comment nourrir ses cinq enfants, dont cette jeune femme rescapée est la plus jeune.

Ils n’avaient rien, pas même une maison, et ils vivaient dans la rue avec très peu de nourriture et d’eau.

S’ils tombaient malades, ils ne pouvaient pas être soignés. « Si vous n’avez pas d’argent, personne ne vous soigne à l’hôpital », dit-elle. Sa mère n’arrêtait pas de pleurer pour cette raison, elle souffrait beaucoup.

Sa grand-mère a cependant réussi à lui payer des études à Kaduna, dans le nord du pays. Une fois ses études terminées, elle est retournée dans son village pour y créer une petite entreprise afin d’aider sa famille. À 20 ans, elle s’est mariée avec un homme de 32 ans, choisi par sa mère.

La vie continue d’être difficile. Ils sont très pauvres et décident donc de s’installer en Libye.

Ils partent d’Agadez en 2016, la traversée du désert dure un mois. Elle raconte : « Oh non non, je ne peux pas vous dire à quel point c’était difficile ! Pas de nourriture, pas d’eau, ils nous poussaient, ils volaient tout, ils nous battaient très fort si nous n’avions pas d’argent. Ils battaient tout le monde. J’ai vu ces gens vendre une fille nigériane à une « madama » [une personne qui exploite les filles à des fins de prostitution]. C’était tellement dur ! ».

Elle ajoute : « Mais nous ne savions pas toute la vérité, nous ne savions pas qu’en Libye, ils détestent les Noirs : ils ne veulent pas d’eux et très souvent, ils les tuent. Mon mari a été tué par les Libyens ».

Elle précise que son mari travaillait comme ouvrier du bâtiment pour une entreprise qui construit des maisons. Elle ne travaillait pas parce qu’elle était enceinte. Pour tenter de gagner un peu d’argent, elle vendait du kérosène dans des bouteilles en plastique au bord de la rue, mais elle n’a jamais été payée.

« C’était dangereux de sortir de la maison, il y avait des hommes qui tiraient tout le temps. Les gens se faisaient tuer sans savoir pourquoi, la seule chose que vous compreniez, c’est qu’ils détestent les Noirs et qu’ils cherchent de l’argent partout ».

Elle raconte qu’une fois, alors qu’elle tenait le bébé dans ses bras, des hommes libyens l’ont arrêtée en lui disant de leur donner son fils. Elle a serré son enfant dans ses bras et s’est mise à courir. Elle a finalement pu leur échapper.

Moins d’un mois avant son sauvetage, son mari a été tué dans la rue. De nombreuses autres personnes sont mortes dans le même incident.

Elle s’est enfuie en pleurant et en priant. Des hommes nigérians l’ont aidée et l’ont recueillie avec son enfant. Ils l’ont emmenée sur les bateaux qui partaient pour l’Europe. Elle a payé 1 500 dinars libyens pour faire ce voyage. Elle raconte avoir été emmenée dans une grande maison avec des milliers d’autres personnes, entassées les unes sur les autres. C’était si dur d’être là. Les gardiens étaient tous armés et ils l’ont frappée, elle et son enfant. Néanmoins, certains hommes ont vu qu’elle était seule et l’ont aidée.

Elle ne se souvient pas du nom de l’endroit d’où ils sont partis. C’était vendredi soir et il y avait 120 personnes sur le canot pneumatique blanc. Elle a seulement vu les hommes pousser l’embarcation dans l’eau et s’enfuir. Elle était assise dans la partie inférieure ; ils étaient les uns sur les autres.

Quelqu’un était assis sur sa tête, beaucoup vomissaient et elle aussi, même si la mer était calme. Son enfant continuait de pleurer, comme tous les autres enfants. Elle priait pour arriver vivante avec son bébé.

Je lui ai demandé quels étaient ses projets pour l‘avenir. Elle me répond qu’elle veut travailler et envoyer son enfant à l’école, comme elle l’a fait pour les autres. Ensuite, les larmes montent et elle se met à pleurer. Elle me dit qu’elle pleure son mari tous les jours, et qu’elle a peur d’arriver dans un endroit qu’elle ne connaît pas sans lui. Les personnes qui l’ont aidée à s’échapper ont donné un nom au bébé : Succès. « Dieu m’a envoyé ce bébé, ce bébé m’a sauvée ».

*Afin de préserver son identité, le nom et la photo de la personne qui livre son témoignage ont été modifiés.

Autrice : Francesca Vallarino Gancia – Recueil de témoignages

Crédit photo : Isabelle Serro / SOS MEDITERRANEE


 

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