Le 27 avril 2025, Syed*, originaire du Pakistan, a été secouru par l’Ocean Viking alors qu’il fuyait la Libye après des années d’enfermement et de violence. Battu, affamé, isolé, Syed raconte l’extrême brutalité et les abus qu’il a subis là-bas. Marqué à vie par cette expérience, il espère désormais pouvoir reconstruire son avenir en sécurité.
J’ai passé cinq ans en Libye, dont deux en détention. Ma vie là-bas était difficile.
Les Libyens ne veulent que des dollars et tout le monde là-bas fait partie de la mafia. Je n’avais pas d’argent pour les payer, donc j’ai passé beaucoup de temps en prison. Si j’avais eu de l’argent, je serais sorti en deux jours. Mais je n’en avais pas. Ma situation au Pakistan n’était pas bonne non plus et mes parents ne pouvaient pas payer pour moi.
Je ne peux pas expliquer ce que j’ai vécu là-bas. Si je le fais, je risque de pleurer. Je n’arrive toujours pas à y croire.
Quand j’étais en prison, quelqu’un me battait régulièrement. Si je vous montrais mon corps, vous ne pourriez pas le croire. Il me frappait toujours pour de l’argent, mais je n’en avais pas, même pas un dollar, et il exigeait 10 000 dollars. Il me donnait du pain tous les deux jours, mais pas d’eau, et il n’y avait pas de toilettes. J’étais seul. Il n’y avait que des chevaux et des chèvres autour de moi, j’étais seul. Pendant deux ans, je n’ai parlé à personne. Il venait tous les deux ou cinq jours parfois, juste pour me donner du pain, et c’est tout.
Il disait : « Je veux de l’argent, donne-moi le numéro de ton père, de ta mère, de ta sœur. » Je disais que je n’avais pas de famille, car je savais qu’il allait envoyer des vidéos à ma mère et qu’elle pourrait mourir à cause du stress.
C’est pour cette raison que j’ai dû vendre mon corps. Sexuellement, si tu vois ce que je veux dire. Je suis un homme plutôt imposant, mais je ne pouvais rien faire là-bas. Il me punissait tous les jours. Je ne peux pas expliquer, désolé, mais pour moi c’est difficile. Je veux oublier cette période de ma vie. Je veux prévenir tout le monde de ne pas venir ici, il n’est pas bon d’être illégal dans les rues. Il y a un risque énorme pour votre vie. Et je peux le dire parce que j’ai passé cinq ans en Libye, donc je connais très bien ce pays. Ils vous disent : « Si tu ne paies pas, je te tue », et je crois vraiment qu’ils peuvent le faire.
Mon esprit est perturbé, car j’ai vu trop de problèmes en Libye. La nuit dernière, ici-même, mon esprit ne pouvait pas accepter l’idée que j’allais en Italie. Je pensais encore : « Non, non, je suis en Libye. » Mais enfin, j’ai bien dormi, après trois ans, sans peur, sans stress.
Je veux de l’aide. Je veux que quelqu’un connaisse ma situation et comprenne que cette voie n’est pas une bonne voie pour vivre. J’ai besoin d’un psychologue, quelqu’un qui pourrait s’asseoir avec moi. Je veux lui parler de ma situation et peut-être que mon esprit pourra guérir. Quand tu as une vie, tu peux tout faire, mais quand tu n’as pas de vie, tu n’as rien, aucun avenir.
Je pense que je suis un homme fort, car peut-être qu’un autre serait mort dans cette situation. Tu ne peux pas vivre dans une pièce sans lit, sans toilettes, pendant deux ans. Pas deux jours, mais deux ans. Parfois, je n’ai rien mangé pendant cinq ou six jours, il ne me donnait rien, ni nourriture, ni eau. C’était dangereux pour moi, mais Dieu m’est venu en aide et aujourd’hui, je suis ici [sur l’Ocean Viking]. Je sais que j’ai encore besoin de temps, mais je peux tout faire. Je peux apprendre la langue en Europe, je veux travailler. Je veux une bonne vie pour moi et pour ma famille. C’est tout. Je peux travailler dans des restaurants, des cafés, comme agent de sécurité, je peux tout faire. J’ai de la force, je suis un homme fort, grâce à Dieu. Il m’a donné beaucoup de force.
« J’ai 35 ans mais quand tu me regardes, tu pourrais croire que j’ai 200 ans. »
Mais je suis un jeune homme. Tout ça à cause de la Libye.
J’ai entendu dire que ce voyage était bien, alors je suis venu. Mais je ne savais rien. C’est très dangereux. C’est pour ça que je veux avertir tout le monde au Pakistan : ne prenez pas cette route. Elle n’est bonne ni pour vous, ni pour votre famille. Vous ne pouvez pas imaginer à quel point c’est dangereux. Je le demande sincèrement à tout le monde : que personne ne vienne ici, cette route n’est pas bonne, elle est seulement dangereuse.
Récapitulatif de l’opération dans laquelle Syed a été secouru
* Le nom du rescapé a été modifié pour préserver son identité et sa sécurité



