Precious*, 33 ans, originaire du Nigeria, a quitté son pays dans l’espoir de trouver un endroit sûr. Après quatre mois d’enfer en Libye, il a fui par la mer et a été secouru par l’Ocean Viking en Méditerranée centrale. Aujourd’hui installé à Bari, en Italie, il travaille pour faire vivre sa passion : la peinture.
Je m’appelle Chinda Precious. Je suis Nigérian, j’ai 33 ans et j’ai été secouru par l’Ocean Viking. La traversée du désert est potentiellement mortelle. Votre vie est en danger, alors quand vous devez affronter ce genre d’épreuve, il n’y a pas de demi-tour possible. Faire demi-tour peut aussi te coûter la vie, alors autant risquer sa vie en allant de l’avant. C’est la décision que j’ai prise. J’ai pris mon sac et je suis parti.
J’ai traversé le désert, il y avait des tirs, j’étais assis sur le toit du véhicule. On était environ 26, tous coincés, entassés comme dans une boîte de sardines, les uns sur les autres. C’était exactement ça. On ne pouvait presque pas se parler, parce que tout le monde était concentré sur sa douleur.
Personne n’est venu nous chercher. On nous a laissés là. Lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi. On cherchait un moyen pour survivre. J’ai passé 22 jours dans le désert. Puis nous sommes arrivé.e.s en Libye. J’y suis resté environ quatre mois. Quatre mois… En quatre mois, j’en ai vu des choses… le genre de choses qu’on lit dans les journaux. Je faisais des travaux de manutention, j’essayais de m’en sortir. Certains jours, on te paye. D’autres jours, il faut te battre pour avoir ton argent, quand tu y arrives. C’est une partie de ma vie que je voudrais effacer. Je veux juste l’effacer. Je n’ai jamais vu la mort de si près.
Les gens t’expliquent comment partir, comment ça se passe. Mais au départ, ce n’était pas ça que j’avais en tête. Je cherchais juste un endroit sûr, mais ce n’était pas un refuge, c’était juste le seul endroit qu’on m’avait conseillé. Mais en y arrivant, c’était bien loin d’être un refuge.
Quand ils sont prêts, ils t’appellent et tu dois être là. Ils te donnent le point de rendez-vous, et c’est tout. Il y a un dicton populaire en Libye : « Il peut être six heures à tout moment ». Cela signifie qu’ils peuvent te dire à tout moment qu’ils sont prêts.
Parce que c’est illégal. C’est aussi très risqué.
J’étais assis sur l’embarcation. Tu sais, les gens s’assoient sur les boudins. Et certains d’entre nous sont aussi à l’intérieur. Surtout les femmes et les enfants qui sont surtout au milieu. Les plus grands restent sur les bords.
Nous avons vu le navire [l’Ocean Viking] mettre à l’eau deux petits bateaux et s’approcher. Et c’est à ce moment-là que nous avons compris… « On vient à notre secours ! On vient à notre secours ! » Nous nous sommes peu à peu calmé.e.s. Les gens ont commencé à pleurer, tout le monde versait des larmes.
Même moi, j’étais très ému à ce moment-là.
Là d’où je viens, dans ma tribu, on apprend aux hommes à ne pas pleurer. Mais parfois, tu sais, tout le monde peut verser des larmes, que tu sois un homme ou une femme. Ça te brise.
Un autre moment qui m’a vraiment touché c’est lorsque, une fois sur le navire, j’ai vu cette inscription : «Maintenant vous êtes en sécurité.» C’est ce que j’ai représenté sur mon tableau. Cette phrase m’a vraiment apaisé à ce moment précis. Une fois sur le navire, je me répétais en moi-même : «Merci mon Dieu, merci mon Dieu».
J’ai recommencé à poursuivre mes rêves, mais c’est différent maintenant. Parfois, tes rêves changent. Mon plus grand rêve est d’être artiste. Mais je ne peux pas être un artiste si j’ai le ventre vide, l’art demande des moyens financiers.
Donc je travaille à atteindre ce moment où je pourrai enfin dire : voilà, c’est ça que je veux faire. Ici, j’ai un boulot de 9h à 17h, rien à voir avec la peinture.
Je ne sais pas. J’ai l’impression que parfois tu peux ressentir quelque chose mourir en toi, une chose qui veut sortir de toi. Et d’une certaine façon, je pense que je travaille toujours là-dessus. Parce que si cette part de moi meurt, alors je ne pense pas que j’aurais grand-chose à vivre.
Depuis que je suis arrivé et jusqu’à aujourd’hui, j’ai tout recommencé à zéro. Et je ne suis pas encore arrivé, mais pour le moment je suis indépendant, j’ai un chez-moi, je paie mon loyer et je me nourris.
Crédit photo : Yannis Skenderoglou/SOS MEDITERRANEE
*Le nom a été modifié pour protéger l’identité de ce rescapé



