Neerav* est père de deux jeunes enfants. Secouru le 6 novembre avec 139 autres personnes d’un bateau en bois surchargé et impropre à la navigation, dans la Région de recherche et de sauvetage libyenne, Neerav a passé près de dix heures dans la cale de l’embarcation avec plus de 60 personnes, inhalant des vapeurs de carburant, arrivant à peine à respirer. Menacé par des opposants politiques, il a dû fuir son pays en urgence pour se rendre en Libye, où il a été enlevé et torturé. Puis il a été embarqué de force sur un bateau en bois surchargé, et enfermé dans la cale, où l’air était chargé de vapeur de carburant. Lorsqu’il a été secouru le 6 novembre avec 139 autres personnes par l’Ocean Viking, il était inconscient.
Avant la pandémie de COVID 19, je travaillais en Malaisie quelques mois par an, ce qui me suffisait pour boucler les fins de mois. Lorsque la pandémie a commencé, il n’y avait plus de travail, et il fallait que je fasse vivre ma femme et mes deux enfants. J’ai demandé de l’aide à mon oncle, qui appartenait au parti politique d’opposition dans notre district. Il m’a aidé à ouvrir un café, qui est devenu très célèbre. Mon affaire marchait bien et je pouvais offrir une vie plus confortable à mes enfants.
Un jour, des clients liés à l’autre grand parti politique au Bangladesh sont venus prendre un café dans mon bar. Lorsque je leur ai demandé de payer, ils se sont mis à me frapper, alors j’ai couru à l’extérieur. Je savais qu’ils n’allaient pas s’arrêter là. J’ai appris qu’ils étaient allés chez mon oncle et l’avaient poignardé à mort. Tout de suite, j’ai caché ma femme et mes enfants chez d’autres membres de ma famille pour les mettre en sécurité. Lorsque je suis revenu dans mon café, mes agresseurs l’avaient détruit et avaient pris tout l’argent. Je suis rentré chez moi et j’ai trouvé ma maison complètement détruite. Ils ont pris toutes les économies que je gardais à l’intérieur, ils ont volé tous les objets de valeur de ma famille et nos animaux de ferme. Je savais qu’ils allaient s’en prendre à moi aussi, je devais fuir. Grâce à un contact que j’avais à l’aéroport, j’ai pu trouver un moyen pour me rendre en Égypte, puis en Libye.
À mon arrivée en Libye, des hommes m’ont capturé et m’ont jeté dans une voiture avec 12 autres personnes. Nous avons été enfermés dans une maison où nous n’avons reçu qu’une bouteille d’eau. En 15 jours, nous n’avons mangé que huit fois. Ils nous ont demandé de l’argent. Je leur ai répondu que j’avais déjà payé. Un jour, ils nous ont amenés sur une plage et nous ont forcés à monter sur un bateau en bois. Je ne savais même pas où nous allions. J’ai seulement dit à ces hommes que je ne pouvais pas retourner au Bangladesh parce que ma vie y était menacée.
Ils ont fait descendre les Bangladais et quelques Pakistanais dans la cale du bateau ; les Syriens et les Égyptiens étaient à l’extérieur, sur le pont supérieur. Nous étions 60 ou 70 personnes au total. Nous manquions d’oxygène dans la cale, et lorsque le bateau est parti, l’air était saturé de vapeurs de carburant. Nous ne pouvions plus respirer. J’ai vomi 32 fois. Un garçon à côté de moi a eu la jambe brûlée par le carburant du bateau qui s’était mélangé à l’eau de mer. Sa peau se détachait.
Je me souviens que j’ai lentement perdu connaissance, puis qu’un ami m’a secoué pour que je me réveille. Lorsque j’ai ouvert les yeux, il ne restait plus que trois personnes à l’intérieur du bateau. Quand on m’a sorti de la cale, j’étais si faible que je ne pouvais pas marcher, mais j’ai compris que nous allions être secourus. Je n’arrivais pas à y croire.
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* Le nom du rescapé a été modifié pour préserver son anonymat.
Crédit photo : Camille Juan Martin / SOS MEDITERRANEE