Le 17 juillet 2024, l’Ocean Viking a porté secours à deux embarcations en détresse dans la Région de recherche et de sauvetage maltaise, dont l’une avait été repérée par Alarm Phone. Mohammed* se trouvait à bord de l’un de ces bateaux, avec 36 autres personnes, après avoir fui la Libye où il avait été emprisonné par une milice et forcé de payer une rançon pour sa libération.
Bonjour, je m’appelle Mohammed Kanem, j’ai 24 ans, je suis né le 24 janvier 2000 à Zabadani, une région proche du Levant. J’ai quitté la Syrie en 2014 à cause de la guerre et des bombardements. Notre maison a été détruite alors que nous étions à l’intérieur, alors on a dû fuir. Ma mère étant libanaise, nous sommes partis au Liban et nous y sommes restés. Nous avons vécu chez mon grand-père un moment et j’ai travaillé là-bas. Mais récemment, il y a eu beaucoup de harcèlement contre les Syriens au Liban. Nous ne pouvions plus vivre, travailler, ou même nous procurer de la nourriture, de l’eau et assurer nos besoins essentiels. Ils ont arrêté de me payer, je travaillais gratuitement. Alors c’est devenu impossible de faire quoi que ce soit.
Ma famille vit en Europe, alors elle m’a aidé pour que je les rejoigne. Je suis allé du Liban en Égypte en transit, puis d’Égypte en Libye. Ma famille est originaire d’une région appelée Baalbek au Liban. Je connais quelqu’un là-bas qui était parti à l’étranger via la Libye. Il m’a mis en contact avec quelqu’un en Libye. J’ai payé tous les frais au Liban pour partir de Libye vers l’Italie. Une fois arrivé en Libye, je suis resté un mois enfermé dans un entrepôt sans pouvoir sortir. Il y avait beaucoup de gens du Bangladesh, du Pakistan et d’autres pays. Ils ne nous laissaient pas acheter de nourriture ni quoi que ce soit. Il y avait seulement du riz et de la farine. Je n’ai même pas pu avoir de médicaments quand j’ai attrapé la gale. J’ai demandé à quitter cet endroit et dit au passeur que je voulais partir. Il m’a dit d’aller me reposer un peu à l’hôtel. Mais quand je suis sorti pour aller à l’hôtel, il m’a dénoncé à la police, et ils m’ont arrêté.
Ils m’ont emmené dans une prison appelée « Beer Al-Ghanam ». Cette prison est comme un entrepôt au milieu du désert. Nous pensions avoir été arrêtés par la police, mais c’était en réalité une milice. Ils nous avaient « achetés » au passeur. Puis ils nous ont demandé de payer 2 300 dollars pour sortir. Peu importe le temps que vous y passez, vous ne sortez jamais tant que vous n’avez pas payé.
Si vous tombez sur la prison de Beer Al-Ghanam, vous êtes perdus. Ils prennent tout votre argent. Ils m’ont pris tout mon argent, 400 euros, tout. Ils ont pris mes téléphones. Mon passeport aussi. Et si je demandais à le récupérer, ils voulaient me le vendre. C’était pour m’empêcher de rentrer chez moi.
Je voulais rentrer au Liban ou en Syrie, mais je ne pouvais plus le faire. Je devais rester en Libye et acheter tout, absolument tout dans cette prison… À Beer Al-Ghanam, ils nous ont tout pris.
Nous y sommes restés 12 jours. Ils nous donnaient un morceau de pain le matin et une assiette de pâtes le soir… c’est tout. Et à boire, de l’eau de mer.
Nous avons d’abord attendu six jours que le passeur revienne nous libérer. Parce que c’est comme ça que ça fonctionne : quand vous êtes arrêtés, le passeur vient et paie avec l’argent que vous lui avez déjà donné pour vous faire sortir. Mais il nous a laissés là 12 jours, et il n’a rien payé du tout. Donc nous avons dû donner 2 300 dollars à des miliciens pour qu’ils nous laissent partir.
Après être sorti de cette prison, je suis retourné voir le passeur pour essayer de demander une compensation et récupérer mon argent. Mais à la place, il voulait nous remettre entre les mains de la milice. Il nous a enfermés à nouveau dans un entrepôt, mais nous avons réussi à nous échapper. On était 40, mais seulement sept d’entre nous ont pu sortir. Les autres sont encore là-bas. Certains ont des genres de plaques dans le dos qui nécessitent une opération chirurgicale. Les maladies y sont courantes et graves.
Quand j’étais en prison, j’ai rencontré un homme nommé Gaddafi. Je l’ai appelé au téléphone et il m’a aidé à partir. Nous avons passé deux jours avec lui avant de prendre la mer, puis nous sommes venus ici et sommes partis à minuit à bord d’une embarcation. Vous voyez comment était ce bateau… C’était une barque en fibre de verre et non un bateau en bois. Elle mesurait environ 4,5 mètres, et pouvait normalement contenir 10 à 15 personnes, mais nous étions 37 à bord, littéralement assis les uns sur les autres. Ils ne nous ont rien donné à manger, juste un peu de chocolat et un pack d’eau. Comme il y avait des enfants avec nous, on leur a laissé l’eau. Il y avait des jeunes de 13 et 14 ans, trois jeunes garçons. Nous avons fini le pack d’eau en à peine une heure. Nous sommes restés deux jours sur cette barque…
Chaque traversée nécessite 1200 à 1 400 litres de carburant, mais ils ne nous en avaient donné que 600 ou 700 litres. Les embarcations devraient aussi avoir deux moteurs, mais ils ne nous en avaient donné qu’un seul. Nous devions sans cesse l’arrêter et le redémarrer. Nous sommes tombés en panne de carburant et nous avons juste essayé d’éviter d’être renversés par les vagues.
Nous avons vu la mort. Si vous aviez vu cette embarcation… à chaque vague, on avait l’impression qu’elle allait se briser. Il y avait un jeune homme avec nous qui avait un téléphone satellite Thuraya. Il a essayé de vous appeler avec son téléphone. Dieu merci, nous avons vu votre navire de sauvetage. C’était comme une renaissance ! Si vous aviez vu la nuit, tout était noir, votre cœur aurait pu s’arrêter. Il restait un peu de carburant, ce qui nous a permis de nous rapprocher de vous. On a enlevé nos chemises pour faire des signaux et utilisé des sifflets pour que vous nous voyiez.
Crédit photo : Charles Thiefaine / SOS MEDITERRANEE
Lire le récapitulatif de cette opération de sauvetage
*Le nom a été modifié pour protéger l’identité de ce rescapé



