« Après quelques heures, nous avons vu que le pneumatique se dégonflait. Nous savions que ce type d’embarcation ne pouvait pas arriver à destination. »
Abandonnée à l’âge de neuf ans durant la guerre civile en Somalie, puis récupérée par un oncle maltraitant, Asha* s’est enfuie seule pour échapper à un mariage forcé. Elle est restée trois ans en Libye, où elle a été emprisonnée et torturée.
Asha* a été secourue par l’Ocean Viking le 1er avril 2023 avec 91 autres personnes dont 47 mineur.e.s non accompagné.e.s. Voir le récapitulatif de cette mission.
Je suis née à Mogadiscio, en Somalie. J'avais neuf ans quand la guerre civile s'est aggravée. Mes parents ont réussi à s'enfuir mais ils m'ont abandonnée. Je suis allée chez mon oncle, mais il n'était pas gentil avec moi. La vie chez mon oncle n'était pas facile : je devais faire le ménage et travailler en échange de pouvoir rester chez lui avec sa famille. Ils me traitaient comme une esclave. J'étais battue.
Mon oncle voulait que j'épouse un de ses cousins âgé de 83 ans qui vivait à Dubaï. J'avais onze ans à l'époque. J'ai refusé de l'épouser et je me suis réfugiée chez une connaissance. Je voulais partir à la recherche de ma famille. On m'a suggérée d'aller en Libye, ce que j'ai fait en 2020. J'avais quatorze ans.
Comme je n'avais pas d'argent, je n'ai pas eu à payer le voyage. Une sorte de mafia a accepté de nous emmener si nous la remboursions une fois en Libye. Ils nous ont fait voyager en voiture depuis la Somalie jusqu’à l'Éthiopie. Nous avons ensuite traversé le Soudan du Sud, puis le Soudan et enfin le désert libyen. Cela a duré un mois. À chaque fois, c’était un chauffeur différent, originaire du pays que nous traversions.
J'ai été battue tous les jours pendant trois ans. J'ai de nouveau été traitée comme un esclave.
Lorsque j’ai atteint la Libye, je suis arrivée à Koufra. Une fois que j'ai dit aux gens qui m'hébergeaient que je ne pouvais pas les payer, ils se sont mis à me battre quotidiennement. Je suis restée là-bas trois ans.
À cause d'une infection de la peau que j’ai eue, ils m'ont chassée de chez eux et envoyée à Tripoli.
J'y ai été placée dans une prison** et j'y suis restée avec d'autres femmes pendant trois mois.
Les femmes avec qui j'étais ont rassemblé de l'argent pour moi, pour payer les passeurs. On m'a emmenée dans un autre endroit, tenu par la mafia, avant de partir sur le bateau. Cet endroit était tenu par des femmes libyennes. Certaines personnes des autorités libyennes étaient présentes et collaboraient avec la mafia. Les femmes nous battaient tous les jours et nous menaçaient. Si vous parliez, elles vous battaient. La nourriture était très mauvaise, nous n'avions qu'un seul repas par jour.
Un jour, ils sont venus avec une camionnette et nous ont dit de monter à l'intérieur, c'était notre seule chance de partir. Nous devions rester face au sol pendant le trajet, nous ne pouvions pas voir où nous allions.
Une fois sur la plage, nous avons dû monter rapidement dans l’embarcation pneumatique. J'étais assise avec les autres femmes, je n'étais pas à l'aise. J'ai fait une crise de panique et j'ai commencé à crier. Un homme m'a dit que je pouvais m'asseoir avec lui à l'avant du bateau et qu'il me protégerait. Après quelques heures, nous avons vu que le pneumatique se dégonflait. Nous savions que ce type d’embarcation ne pouvait pas arriver à destination. Nous avons remarqué que l'eau pénétrait dans le bateau, nous avons eu peur. Les gens sur le bateau voulaient appeler à l'aide, mais je les en ai empêchés : j'avais peur que cela nous oblige à retourner en Libye. […]
Quand j’ai vu arriver vos canots de sauvetage, j'ai commencé à pleurer. Je me souviens que j'étais l'une des dernières à monter à bord de l'Ocean Viking, et que lorsque votre équipe m'a aidée à monter, j'ai cédé, j'avais perdu toute mon énergie.
Maintenant, j'espère que ma famille me retrouvera grâce à ce témoignage, c'est mon rêve.
Brûlures au plastique fondu, dans un centre de détention en Libye.
* Le nom a été modifié pour protéger l'identité de la jeune fille.
** Les personnes rescapées parlent souvent de « prisons » pour désigner les centres de détention informels où elles sont détenues arbitrairement.