14 jours. Il aura fallu attendre 14 jours pour que les 356 êtres humains secourus par l’Ocean Viking puissent être débarqués dans un port sûr. Ces dernières semaines, l’Ocean Viking a effectué ses premières opérations de sauvetage et a vécu son premier blocage… Une situation face à laquelle nous nous refusons d’être fatalistes.
Quatre sauvetages en quatre jours
Dimanche 4 août, l’Ocean Viking quittait le port de Marseille pour remplir sa mission : sauver des vies en mer Méditerranée centrale. A peine sommes-nous arrivés sur la zone de recherche et de sauvetage, dans les eaux internationales au large des côtes libyennes, qu’une première embarcation pneumatique a été repérée le vendredi 9 août au matin. A son bord, 85 personnes en détresse, dont 4 femmes et 25 mineurs. Le plus jeune d’entre eux est âgé de seulement un an. Avec professionnalisme, les équipes de l’Ocean Viking réalisent ce qui sera le premier sauvetage avec ce nouveau navire. S’en suivront trois autres, sur trois jours consécutifs. En effet, le 10 août, l’Ocean Viking a porté secours à 85 autres personnes, puis à 81 le lendemain, et enfin, le 12 août, ce sont 105 naufragés entassés sur une embarcation pneumatique qui ont été accueillis à bord du navire.
Quatre sauvetages en quatre jours, c’est dire le nombre de drames humains qui ne peuvent pas être évités lorsque les ONG de sauvetage en mer ne patrouillent pas dans cette zone si meurtrière.
Une coordination des opérations toujours insuffisante sur la zone de sauvetage
Ces quatre sauvetages ont été des opérations difficiles à mener en raison du manque flagrant de coordination et de partage d’informations dans la zone par les autorités maritimes compétentes et les acteurs de l’opération européenne Sophia. Si les embarcations ont pu être repérées et les personnes secourues, c’est grâce aux opérations de veille méticuleuse menées en continue par les équipes à bord au moyen de jumelles et de radars.
Une fois les personnes mises en sécurité sur le navire, la question du port sûr où les débarquer se pose immédiatement. Conformément à la réglementation maritime, le navire a toujours cherché à contacter l’autorité officielle de coordination des sauvetages sur la zone à savoir le JRCC libyen tant en amont des opérations qu’en aval. S’il n’a jamais été possible d’obtenir de réponse du centre de coordination libyen en amont, le navire a reçu à deux reprises l’instruction de débarquer les rescapés à Tripoli en Libye. Une option inenvisageable pour les équipes de SOS MEDITERRANEE et de MSF, puisque contraire au droit international maritime qui prévoit le débarquement dans un lieu sûr où les droits des rescapés seront respectés et leurs besoins essentiels satisfaits. L’Ocean Viking a donc fait route vers le nord, sollicitant la réaction des autres autorités de coordination des sauvetages proches de la zone à savoir les autorités maritimes et les autorités maltaises. Dans un premier temps, ces dernières n’ont formulé aucune indication, provoquant de fait une situation de blocage pour le navire et ses rescapés.
Un blocage interminable…
Dans l’attente, les langues se sont peu à peu déliées : certains rescapés ont livré leurs récits de périples exténuants et peuplés de tragédies, d’autres ont témoigné des multiples actes de torture subis dans les centres de détention libyens. D’autres encore ont partagé leurs traumatismes à travers des dessins.
Djibril, originaire du Tchad et âgé de 24 ans, a dû s’y reprendre à cinq reprises avant de réussir à fuir la Libye. Bintu, jeune maman de 28 ans, raconte quant à elle avoir « préféré mourir en mer plutôt qu’en Libye », lorsqu’elle a choisi de tenter la traversée.
Comment leur expliquer qu’après avoir traversé toutes ces épreuves, ils doivent encore attendre que les Etats européens se coordonnent et trouvent une solution pour qu’ils soient débarqués dans un lieu où leurs droits et leur dignité seront enfin respectés ?
C’est finalement au bout de 14 jours d’attente en mer pour les premiers rescapés et plus d’une semaine pour les 356 personnes secourues, qu’une solution européenne a vu le jour. Vendredi 23 août, les autorités maltaises ont annoncé accepter que ces hommes, ces femmes et ces enfants soient débarqués à Malte, après qu’une coalition de six Etats européens ait décidé de les accueillir : l’Irlande, le Portugal, la France, la Roumanie, l’Allemagne et le Luxembourg.
Lorsque l’annonce a été faite à bord de l’Ocean Viking, une explosion de joie a retenti. La joie et, avec elle, l’espoir qui d’un coup s’est ravivé. Un soulagement mais aussi des inquiétudes et des regrets : il aura fallu 14 longs jours pour qu’une solution soit trouvée. 14 jours durant lesquels ces personnes vulnérables ont dû patienter à bord d’un navire en pleine mer. 14 jours durant lesquels l’Ocean Viking et nos équipes n’ont pas pu être sur la zone de sauvetage pour venir en aide à ceux qui se noient en Méditerranée centrale.
Désormais, l’Ocean Viking va procéder à un changement d’équipe, à un ravitaillement en carburant et à un réapprovisionnement du navire avant de repartir au plus vite en zone de recherche et de sauvetage, au large des côtes libyennes. En espérant que les Etats européens s’accordent prochainement sur un mécanisme de débarquement coordonné, prévisible et pérenne dans le respect des conventions internationales et du droit maritime, afin d’éviter de nouveaux blocages longs et épuisants. Une nouvelle rencontre entre les Etats membres de l’Union européenne est d’ailleurs prévue sur ce sujet en septembre, à Malte.
Crédits Photo : Hannah Wallace Bowman / MSF