“La différence entre ceux qui survivent et ceux qui ne survivent pas se mesure en minutes…”
Le 5 février dernier, alors qu’il termine à peine une séquence de quatre sauvetages en 48 heures, Alessandro, marin-sauveteur sur l’Ocean Viking, couche sur le papier ses impressions malgré la fatigue qui l’assaille.
Imaginez 400 personnes qui chantent leur salut sur le pont d’un navire. Des hommes, des femmes et des nouveau-nés, mais surtout des mineur.e.s qui voyagent seul.e.s et deviennent adultes entre une prison en Libye et une nuit sur un canot pneumatique au milieu de la mer.
Voici comment se présente l’Ocean Viking aujourd’hui, après quatre sauvetages en deux jours. Nous sommes physiquement fatigué.e.s parce que nous avons tout donné : les heures de sommeil, les journées entières sur le canot de sauvetage, les roulements au module médical et au nettoyage, l’adrénaline et l’attente, les yeux qui brûlent, collés aux jumelles.
Les jours d’attente et les moments fébriles s’alternent, comme si sortir ne serait-ce qu’une personne de la mer était un concentré de notre vie : des semaines de préparation pour un instant.
Quand je saisis ces poignets, en hissant des corps de l’eau jusqu’au canot, je ressens toujours une texture différente. Force, fragilité, timidité, honte et bien plus encore que je ne saurais dire se mêlent dans un contact, il n’y a pas le temps de demander, il faut suivre son instinct et passer à la suite.
Nous savons qu’en ces jours de temps exceptionnellement beau – nous sommes en février – plusieurs centaines de personnes sont parties. Beaucoup ont été interceptées et ramenées en Libye de force, nous en avons sauvé certaines, d’autres sont peut-être mortes. Tissées d’un fil précaire, ces embarcations sont fragiles comme le temps du sauvetage qui s’écoule si rapidement: la différence entre ceux qui survivent et ceux qui ne survivent pas se mesure en minutes, en poignées de chance.
Crédit photo : Kenny Karpov / SOS MEDITERRANEE