Raconter l’indicible. C’est ce que les rescapés secourus par l’Ocean Viking au cours de sa troisième mission ont fait, une fois mis en sécurité à bord du navire. Ces femmes, ces hommes mais aussi ces jeunes enfants voyagent pour certains seuls, ont perdu leur famille pour d’autres et certains ont préféré risquer de se noyer en Méditerranée plutôt que de tenter de survivre en Libye.
L’indicible raconté par les rescapés
« L’humain, en Libye c’est un moyen d’échange. On m’a vendu pour 2000 dinars. Mourir en mer c’est plus facile que de vivre en Libye. » C’est en ces termes que Samuel*, un ivoirien de 23 ans, s’est confié aux équipes de SOS MEDITERRANEE et de Médecins sans Frontières (MSF) à bord de l’Ocean Viking. Samuel fait partie des 104 rescapés qui ont été secourus le 18 octobre 2019. Nombre d’entre eux témoignent des souffrances terribles qu’ils ont vécues en Libye et durant leur tentative pour fuir par la mer.
Anaïs*, jeune fille de 15 ans originaire de Côte d’Ivoire, a raconté à nos équipes à bord du navire : « On a essayé de traverser la mer en août. Deux enfants de 3 et 4 ans et deux femmes d’environ 30 ans sont morts pendant le trajet. Il n’y avait plus d’eau, plus de nourriture, c’est là que les enfants sont morts. Et on était trop serrés, l’une des femmes est morte étouffée. L’autre aussi, elle est morte étouffée pendant la nuit. Quand le soleil s’est levé, on a vu qu’elle n’était plus [en vie]. Après quatre jours en mer, les [garde-côtes] libyens sont venus nous chercher et nous ont enfermés en prison**, moi, ma mère, mon petit frère et ma sœur ».
Au-delà de ces récits effroyables, le jeune âge de nombreux rescapés est saisissant. En effet, sur 104 personnes secourues vendredi dernier, 41 sont des mineurs, dont 76 % sont non-accompagnés. Des jeunes hommes, mais aussi de très jeunes femmes, qui se retrouvent livrés à eux-mêmes préférant risquer leur vie plutôt que de subir des sévices qui relèvent de l’inimaginable.
Des personnes livrées à elles-mêmes en Libye comme en mer
L’Ocean Viking a débuté sa troisième mission par des opérations de recherche, suite au naufrage tragique d’un canot qui transportait une cinquantaine de personnes, survenu dans la nuit du dimanche 6 au lundi 7 octobre, au large de Lampedusa. Les autorités maritimes de Lampedusa avaient alors sollicité notre navire pour les assister dans leurs opérations de recherche.
Au moins treize femmes sont décédées et une dizaine de personnes ont été portées disparues, dont des enfants et des femmes enceintes. Certains corps ont été retrouvés au fond de la mer, avec l’épave du bateau, par les garde-côtes italiens.
Après deux jours de recherche en vain des victimes de ce naufrage, l’Ocean Viking avait repris sa route vers le sud.
Puis, dans la nuit du 12 octobre et le lendemain, le navire a procédé à deux opérations de sauvetage dans les eaux internationales, au large des côtes libyennes, portant à 176 le nombre de rescapés à son bord, dont quatre femmes enceintes et neuf mineurs. Tous ces rescapés ont pu être débarqués quelques jours plus tard, mercredi 16 octobre à Tarente en Italie. Une décision rapide des autorités italiennes qui n’est pas sans rappeler le tournant positif pris ces dernières semaines avec la réouverture des ports italiens.
Une fois le débarquement effectué, l’Ocean Viking est reparti une nouvelle fois vers le sud. A peine de retour dans la zone de recherche et de sauvetage au large des côtes libyennes, notre navire a effectué une troisième opération de sauvetage, vendredi 18 octobre, portant secours à 104 personnes entassées sur un canot pneumatique, repéré aux jumelles par l’équipage de SOS MEDITERRANEE. Effectuée en permanence, cette veille visuelle est de plus en plus importante face au manque de signalements des embarcations en détresse par les autorités maritimes.
Une autre réalité qui vient s’ajouter à celle des drames vécus par ces personnes qui tentent de traverser la Méditerranée centrale et se retrouvent livrées à elles-mêmes, tant à terre qu’en mer.
Dimanche soir, l’Ocean Viking a quitté la zone de recherche et de sauvetage libyenne. Le navire a demandé aux Centres de coordination des secours maritimes (MRCC) italien et maltais l’attribution d’un lieu sûr, en coordination avec les MRCC les plus à même d’assister et de faciliter un débarquement dès que possible.
Actuellement, les 104 rescapés sont toujours en attente de pouvoir être débarqués.
Les récits de Samuel, d’Anaïs ou encore de Peter doivent être lus, écoutés, partagés pour ne pas détourner le regard de la situation catastrophique en Méditerranée centrale.
Ces récits nous bouleversent, tout autant qu’ils nous obligent à poursuivre la mission qui est la nôtre : sauver des vies en mer.
* Le prénom a été modifié afin de conserver l’anonymat de ces rescapés
** Centre de détention en Libye.
Crédits photo : Hannah Wallace Bowman / MSF