« Je remercie Dieu de nous avoir envoyé un bateau de sauvetage pour nous sauver la vie, sinon on serait tous morts !». Une serviette éponge verte nouée autour de la tête, A. attend à l’ombre son tour pour la clinique. Comme une dizaine d’autres migrants transférés d’un autre bateau, sa peau a été rongée pendant la traversée sur le canot pneumatique par un cocktail d’eau de mer et de carburant qui provoque des brûlures terribles, redoutées par l’équipe médicale, qui doit changer les pansements quotidiennement.
A. fait partie des 120 personnes qui ont été transférées le soir du 23 octobre sur l’Aquarius, après avoir été secourues quelques heures plus tôt par un autre bateau, le Dignity1. Encore sous le choc, il raconte ses souvenirs confus de la traversée.
« A un moment, j’ai constaté qu’il y avait de l’eau sous mes pieds, une femme à coté de moi m’a dit que c’était juste une vague qui était entrée dans le bateau. Mais en réalité je crois qu’il y avait un trou dans le bateau ». Il tente de rassembler ses souvenirs. « Je me suis rendu compte que je n’étais plus assis sur le bois au fond du bateau, mais que j’étais assis dans l’eau et ça montait, ça montait. On a essayé d’écoper l’eau avec nos habits parce que c’est tout ce qu’on avait. Mais certains a bord n’étaient pas d’accord. Mais nous qui étions là au fond du bateau, certains ne voulaient pas nous aider à écoper. Le bateau est devenu comme un V, ceux qui étaient au dessus ont glissé vers le fond du bateau qui s’était plié. Les femmes, les enfants, nous étions en bas et nous n’avions aucun moyen de nous lever. Il y avait l’odeur de l’essence qui nous a donné des vertiges, moi ça m’a comme saoulé, et j’ai perdu connaissance, mais avant de retrouver mes esprits, j’ai été frappé, et là je suis tombé dans l’eau, j’ai trouvé un gilet de sauvetage et quelqu’un m’a aidé à monter sur le bateau ».
A. me demande où sont les jeunes femmes qui voyageaient à ses côtés. Difficile de lui donner une réponse, car à ce moment là 520 personnes sont à bord de l’Aquarius. « Je me demande où les gens sont partis parce que je n’ai rien compris. Je ne les voyais plus, j’ai appris que tous ceux qui étaient à coté de moi ont perdu la vie. Une famille, le père, la femme et l’enfant… ». Il prend le visage dans les mains.
A., est originaire du Togo. Il assure avoir 30 ans, même si au vu des traits creusés de son visage et de sa barbe clairsemée poivre et sel on lui en donnerait. Avant d’arriver en Libye, A. est passé par le Bénin, le Tchad, l’Algérie. « Je suis resté très longtemps en Libye, mais je ne conseille à personne de vivre ce qu’on a vécu en là-bas. On te force à faire ce que tu ne dois pas faire. A un moment j’étais obligé de prendre la fuite. Je pensais rentrer à la maison, le seul moyen que j’avais c’était d’aller en avant. Il n’y avait aucun moyen de retourner au Togo, le seul moyen de sortir de là c’est par ici et l’Europe, même si ça ne va pas, ça ira dix fois mieux que là-bas ».
Crédits photos : Andrea Kunkl