Guillaume, marin-sauveteur actuellement à bord de l’Ocean Viking, décrit la vie quotidienne sur le navire de sauvetage de SOS MEDITERRANEE depuis son départ de Marseille le 14 décembre.
Jours 9 et 10 à bord de l’Ocean Viking
« L’hiver et ses vents d’ouest nous ont poussés dans des eaux abritées, à l’est de la Sicile. Nous étions à une heure de Catane (Sicile, Italie) quand nous avons demandé une évacuation médicale pour une femme qui figure parmi les 162 rescapés à bord de l’Ocean Viking. Par 40 nœuds de vent, au travers d’une nuit qui commençait à bouillir, c’est en hélicoptère qu’il a fallu procéder. Elle s’est envolée avec son bébé et sa sœur. Le monde maritime change, il se délite. Il se délie de la mer. Les ports sont fermés pour ces hommes, femmes et enfants. Ce même soir, après deux jours d’attente, nous apprenons enfin que Tarente (Pouilles, Italie) sera finalement le port de débarquement. A 18 heures de route, en arrondissant la Calabre par le Sud, nous ne serons plus protégés par la Sicile. Et le vent qui poursuit son ascension. Avec l’équipe de Médecins sans Frontières, chaque nuit, nous nous relayons par paire, toutes les deux heures, pour assurer nos quarts sur le pont. Les rescapés allongés dans l’abri pour homme occupent chaque mètre carré. Il n’y a que deux portes. L’une d’elles est condamnée car trop exposée aux vagues. A l’autre, quand le passage aux toilettes des occupants du navire devient inévitable, c’est un par un, et en saisissant leur bras fermement, qu’ils franchissent les quelques dangereux mètres qui les en séparent. L’abri pour les hommes n’est pas entièrement étanche aux bras de la mer qui trouvent d’infimes passages par-dessous et par-dessus. L’atmosphère humide tousse à droite et à gauche, j’enjambe des corps pour en atteindre d’autres, malades bien sûr, et leur distribue sacs et/ou cachets contre le mal de mer. Des vagues frappent le container dans un bruit de montagne qui tombe. Alors les regards de ceux qui ne peuvent dormir cherchent dans le mien la rupture de mon calme. Dehors, c’est l’inondation. A quatre heures du matin, Alessandro et Massimo nous relaient, Pablo et moi. Pour tenir encore le restant de la nuit qui glougloute dans ses 50 nœuds de vent soulevant des vagues de 5 mètres.
Le jour. Et le Golfe de Tarente, enfin. L’Ocean Viking vient s’amarrer le long d’un quai. La douane, les garde-côtes, la police : ils sont tous là. La Croix-rouge et une équipe médicale du ministère de la Santé italien aussi. Ils ont des masques de papier sur le visage, au cas où. Ils ont aussi des chaussures à donner. Le temps de quelques heures, de la procédure, des aurevoirs et le navire se retrouve silencieux. Plus tard, nous autres, de SOS MEDITERRANEE et MSF, quittons le bord pour un verre. Je marche sur le quai, qui n’est pas encore désert car le transfert des rescapés en bus vers un centre d’hébergement n’est pas encore achevé. Les derniers attendent, couverture de survie sur le dos, parqués derrière des ganivelles par petits groupes au nombre bien précis. Je marche sur ce quai avec des vêtements que j’aime bien, ma veste chaude, mon passeport dans la poche. Personne ne me contrôle. Personne ne m’arrête. Je passe devant eux et les salue une dernière fois. Du haut de la honte. »
Au sujet de Guillaume
Guillaume est né en 1986 à Redon en Bretagne. Avant de devenir marin-sauveteur, Guillaume travaillait dans des centres de rééducation comme éducateur sportif auprès de personnes en situation de handicap moteur et de déficience intellectuelle. Cette expérience lui a permis de se rapprocher de personnes vulnérables, de mieux comprendre leur sensibilité et tenter ainsi de mieux leur venir en aide. Ces deux dernières années, il a été marin-sauveteur et skipper. Il a aussi livré des voiliers à travers l’Atlantique et possède différentes expériences professionnelles dans le domaine de la pêche. Guillaume a décidé de rejoindre SOS MEDITERRANEE cette année et fait partie de l’équipe de recherche et de sauvetage à bord de l’Ocean Viking depuis novembre 2019.
Crédits photo : Faras Ghani / Al Jazeera – Laurence Bondard / SOS MEDITERRANEE