Guillaume, marin-sauveteur actuellement à bord de l’Ocean Viking, décrit la vie quotidienne sur le navire de sauvetage de SOS MEDITERRANEE depuis son départ de Marseille le 14 décembre.
Jour 7 à bord de l’Ocean Viking
« Il est 5 heures. Et si Paris s’éveille, d’autres n’ont pas dormi.
Une foule serrée dans l’impasse d’un pneumatique en partie dégonflé espère sortir du noir. L’issue aujourd’hui est rouge et s’appelle, en lettres blanches, Ocean Viking.
Le soleil décapsule le jour sur 112 têtes brunes qui enfilent les gilets de sauvetage distribués par Basile, qui coordonne l’opération sur l’eau. Malgré la proue du pneumatique éventrée, l’extraction des rescapés se fait en sécurité à bord des rafts et semi-rigides.
À l’échelle d’embarquement de l’Ocean Viking, je donne des mains qui deviennent des ailes. Des nourrissons, enfouis au creux de minuscules gilets de sauvetage, se retrouvent dans mes bras. Leurs yeux n’ont pas encore d’avis, ils sont ronds comme le monde et diffusent ce qu’ils ont encore d’innocence. Avec Massimo, on se relaie pour les bébés. On veut chacun son tour boire leurs regards. Puis leurs mains encore, et nos mains encore, se joignent en poignées salvatrices pour hisser les survivants à bord. Je distribue quelques « welcome on board » et « bienvenue à bord », au cas où. Il faut que je l’apprenne en Arabe aussi. L’aube est partie, SOS MEDITERRANEE remballe le matos, MSF est au taquet. Le mal de mer, s’il sévit, n’empêche pas le pont du navire de pétiller de sourires. L’Ocean Viking, c’est la parenthèse de paix. Avant, il s’agit d’oublier. Après on ne sait pas.
Le même jour, à la nuit, un autre sauvetage. Sur une mer qui s’est gavée de vent, apparaît, pantelante, une barque en bois pleine à craquer dans le halo du navire. La manœuvre du barreur transpire la panique et la proue percute la coque d’acier de notre navire mère, qui se retrouve à couple du leur. Certains tentent de s’accrocher, mettant en péril l’équilibre de leur fragile embarcation. Nos deux bateaux de sauvetage semi-rigides tentent une approche périlleuse à couple également, de chaque côté du bateau en bois, et bientôt, les 3 petits bateaux roulent bord sur bord, écrasés contre l’Ocean Viking.
Les gilets de sauvetage n’ont pas encore pu être distribués. Et à chaque vague, les bordées de bois crient une redoutée rupture. Sur nos semi-rigides, nous arrivons à dégager l’embarcation, à quelques mètres de l’Ocean Viking, pour finaliser la distribution des gilets de sauvetage.
La voix de Basile tendue dans le grésillement de la radio UHF est mêlée dans le brouhaha de détresse. Basile annonce ensuite l’organisation du transfert depuis l’embarcation de bois vers le semi-rigide où il se trouve (Easy 1), puis jusqu’au deuxième semi-rigide (Easy 2), à couple de l’autre côté maintenant. La nuit, le vent, la houle… le concours parfait vers le pire.
Et pourtant après leur passage en enfer, peut-être ont-ils sur la mer trouvé finalement leur bonne étoile en arrivant vivants à bord de l’Ocean Viking ? Leurs jambes les soutiennent à peine, leurs mains, leurs bras, leurs regards tremblent, tous leurs corps exténués crient la terreur en silence. Échappés de la Libye, de la mer, de la nuit, éternels fuyards. Mais qui les chassent ? »
Au sujet de Guillaume
Guillaume est né en 1986 à Redon en Bretagne. Avant de devenir marin-sauveteur, Guillaume travaillait dans des centres de rééducation comme éducateur sportif auprès de personnes en situation de handicap moteur et de déficience intellectuelle. Cette expérience lui a permis de se rapprocher de personnes vulnérables, de mieux comprendre leur sensibilité et tenter ainsi de mieux leur venir en aide. Ces deux dernières années, il a été marin-sauveteur et skipper. Il a aussi livré des voiliers à travers l’Atlantique et possède différentes expériences professionnelles dans le domaine de la pêche. Guillaume a décidé de rejoindre SOS MEDITERRANEE cette année et fait partie de l’équipe de recherche et de sauvetage à bord de l’Ocean Viking depuis novembre 2019.
Crédits photo : Faras Ghani / Al Jazeera et Johan Persson