Pendant qu’en France et dans de nombreux pays européens, les pompiers à terre combattaient les incendies, en Méditerranée, les ONG de sauvetage luttaient pour sauver des vies sans répit, alors que les traversées s’intensifiaient à la faveur des conditions météo estivales. Retour sur un été chaud et intense en Méditerranée centrale.
Un mois d’août surchargé à l’image de cet été 2022
Onze jours d’attente en mer par des températures qui ont frôlé les 40°C sur l’Ocean Viking. Dix sauvetages en moins de trois jours, dont huit en zone de recherche et de sauvetage maltaise. 466 femmes, hommes et enfants exténué.e.s ayant passé jusqu’à trois jours à la dérive sur des embarcations de fortune sans eau ni nourriture, dont 81 mineur.e.s, des femmes enceintes, des bébés et même une petite fille de trois semaines. 19 nationalités représentées. Une affluence inédite de patient.e.s à la clinique du navire. Trois femmes enceintes évacuées d’urgence… En ce début septembre, les conditions estivales les plus extrêmes perdurent en mer, alors que les dernières personnes secourues fin août par l’Ocean Viking ont enfin été débarquées la nuit du 4 au 5 septembre, à Taranto.
Dans le communiqué de presse conjoint de SOS MEDITERRANEE et de la FICR* du 2 septembre dernier, Xavier Lauth, le directeur des opérations de SOS MEDITERRANEE, appelait à la désignation immédiate d’un lieu sûr où débarquer alors que les personnes rescapées étaient bloquées en mer depuis des jours : « ces personnes secourues ont été retrouvées en haute mer dans des situations inimaginables. Dans une tentative désespérée de trouver la sécurité, elles ont failli mourir en mer, soit par noyade, soit par déshydratation. Conformément au droit maritime, leur sauvetage ne sera terminé que lorsqu’elles auront atteint un lieu sûr. »
Parties de Syracuse le 21 août sous un soleil de plomb, les équipes de l’Ocean Viking ont fait face à des situations extrêmes lors de sauvetages rapprochés. Le premier de cette mission a eu lieu la nuit du 24 au 25 août et a été suivi d’un second sauvetage d’une embarcation qui était en mer depuis trois jours, puis de deux autres le vendredi 25 août, alors que la houle atteignait deux mètres. Le rythme s’est encore accéléré durant le week end, avec six autres sauvetages d’affilée.
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Capacités de sauvetage insuffisantes et absence de coordination
Ce rythme effréné perdure depuis le mois de mai. Dès l’arrivée des beaux jours en effet, il n’est pas rare que les navires humanitaires enchaînent plusieurs sauvetages en seulement quelques heures. Ce fut encore le cas pour l’Ocean Viking les 24 et 25 juillet derniers, quand cinq sauvetages se sont succédé en une trentaine d’heures, permettant de secourir 387 personnes en détresse.
Déjà au début de l’été, notre navire avait parcouru des centaines de kilomètres dans les zones de recherche et de sauvetage libyenne et maltaise afin de secourir huit embarcations entre le 24 juin et le 4 juillet. « Des heures angoissantes et épuisantes, à chercher des embarcations sans que les autorités maritimes ne fournissent la moindre coordination pour nous aider à les retrouver », rappelait Sophie Beau, cofondatrice et directrice générale de SOS MEDITERRANEE.
Jusqu’en juin 2018, la coordination des sauvetages était dévolue aux autorités italiennes, plutôt qu’à Tripoli ; les garde-côtes italiens coordonnaient les opérations de sauvetage des ONG et menaient eux-mêmes des sauvetages. « À l’époque, un port nous était assigné dans les heures qui suivaient les sauvetages, comme le prévoit le droit maritime. » se souvient Sophie Beau. « Aujourd’hui, l’attente en mer peut atteindre plus de 10 jours, et les autorités maritimes compétentes n’assument pas leurs responsabilités. »
Alors que fin juillet/début août 2022, près de 1 500 personnes avaient été secourues par les navires humanitaires de SOS MEDITERRANEE, Médecins Sans Frontières (MSF) et Sea Watch, nos trois associations ont uni leurs voix pour demander, dans un communiqué de presse conjoint, que des moyens de sauvetage étatiques européens soient enfin remis en place, à la mesure de cette situation humanitaire insoutenable.
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Morts en Méditerranée
Le seuil des 1 000 personnes disparues en Méditerranée centrale en 2022 a été franchi en ce début septembre, selon l’Organisation mondiale pour les migrations[1]. Au-delà du manque criant de moyens de sauvetage – seuls quelques navires d’ONG sont présents, en l’absence totale de moyens de sauvetage étatiques européens – doublé du manque de coordination effective des opérations de secours en mer, en été, les risques sont importants, notamment en raison dela déshydratation lorsque les personnes dérivent plusieurs jours sans eau, en plein soleil. Tous les navires humanitaires, dont celui de SOS MEDITERRANEE, ont fait la tragique expérience par le passé de retrouver des corps sans vie sur les embarcations secourues.
Parfois aussi, les rares secours civils ne pouvant répondre à tous les appels de détresse à temps, il nous arrive de faire face à une embarcation en détresse avec plusieurs personnes tombées à la mer. Ainsi le 27 juin dernier, Médecins Sans Frontières a indiqué être parvenue à secourir 71 naufragé.e.s mais 30 personnes, dont cinq femmes et huit enfants, étaient porté.e.s disparu.e.s. Une femme enceinte est par ailleurs décédée sur le pont de son navire peu de temps après avoir été secourue. En outre, lors de plusieurs sauvetages opérés par nos équipes, des rescapé.e.s ont déclaré que des personnes étaient tombées à l’eau lors de la traversée avant de pouvoir être secourues.
Et combien d’autres ont sombré sans témoins alors que les États européens détournent le regard ?
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Longs blocages avant les débarquements
Loin de remplir leur devoir légal de coordination pour préserver la vie des personnes en détresse en mer, les autorités continuent d’imposer de longs blocages en mer aux navires de sauvetage civils, en l’absence d’un mécanisme systématique de débarquement. « Ces personnes dorment sur le pont, elles dorment sur du bois, elles dorment sur des plaques de métal. Certaines souffrent de déshydratation, beaucoup souffrent d’insomnie, certaines ont été blessées pendant leur voyage et ne peuvent pas dormir du tout. Il y a aussi des enfants qui pleurent constamment parce qu’ils ont été séparés de leurs parents » expliquait Xavier Lauth, dans un énième appel aux autorités pour obtenir un lieu sûr où les débarquer. Il aura fallu sept jours avant que ces rescapé.e.s puissent enfin poser le pied à terre.
Alors que le mois d’août vient de prendre fin, rien ne semble indiquer que les tentatives de traversées vont se réduire en cette rentrée.
* FICR : Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge
[1] https://missingmigrants.iom.int/region/mediterranean?region_incident=All&route=All&year%5B%5D=10121&month=All&incident_date%5Bmin%5D=&incident_date%5Bmax%5D=
Photo en haut de la page: Tara Lambourne / SOS MEDITERRANEE