Garder le cap en 2020
23 janvier 2020

En ce début d’année, près de 300 personnes ont été secourues par des navires humanitaires en Méditerranée centrale. Dans la zone de recherche et de sauvetage libyenne, le contexte est de plus en plus flou et nos équipes sont la plupart du temps livrées à elles-mêmes dans leurs missions de recherche et de sauvetage. Malgré tout, les marins-sauveteurs de l’Ocean Viking tiennent le cap, car notre présence en mer reste vitale.  

Premiers sauvetages de l’année et toujours pas de mécanisme de débarquement  

A peine commencée, l’année 2020 était déjà marquée par de premiers sauvetages en Méditerranée centrale. Les 9 et 10 janvier, tandis que notre navire se trouvait en Sicile pour une courte escale, les navires des ONG espagnole Proactiva Open Arms et allemande Sea Watch, ont porté secours à 237 personnes au cours de cinq opérations de sauvetage. Après deux jours d’attente inutile, deux ports en Italie, Tarente et Messine leurs ont finalement été assignés pour débarquer les rescapés. Deux solutions ad hoc puisqu’il n’existe toujours pas de mécanisme concerté, prévisible et pérenne concernant le débarquement des rescapés secourus en Méditerranée.

Arrivé en zone de recherche et de sauvetage au large des côtes libyennes le dimanche 12 janvier dans la soirée, l’Ocean Viking s’est rapidement trouvé être le seul navire humanitaire présent en Méditerranée centrale. Dans la nuit du jeudi 16 au vendredi 17 janvier, il a reçu une alerte concernant 39 personnes sur une embarcation de bois en détresse. Vers 4h30 du matin, les équipes de SOS MEDITERRANEE ont réussi à mettre toutes les personnes en sécurité à bord de l’Ocean Viking. Parmi ces 39 personnes secourues, 19 d’entre elles sont des mineurs non accompagnés. Autrement dit, 19 mineurs qui auraient pu perdre la vie, dans l’anonymat le plus total, si notre navire n’avait pas été là pour leur porter assistance.

La Libye n’est pas un lieu sûr pour débarquer des rescapés

Et immanquablement, l’histoire se répète : les équipes de l’Ocean Viking, qui ont envoyé une demande pour un lieu sûr afin de débarquer les rescapés, se sont vues assigner Tripoli par les autorités maritimes libyennes. Or, il est inenvisageable de débarquer des rescapés dans un pays en proie aux conflits tel que la Libye. Le droit international est on ne peut plus clair : « Tout rescapé doit être débarqué dans un “lieu sûr” dans les meilleurs délais, où ses droits fondamentaux seront     respectés.[1] »

Le Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), tout comme l’Organisation internationale des migrations (OIM) ont d’ailleurs déclaré à plusieurs reprises que ce pays ne peut pas être considéré comme un lieu sûr.
Les équipes de l’Ocean Viking ont donc sollicité une alternative auprès des autorités maritimes compétentes. Lundi 20 janvier dans la soirée, le port de Pozzalo en Sicile a finalement été assigné à notre navire pour débarquer les 39 rescapés.   

Au-delà de ce cas précis, comment est-il possible d’envisager de renvoyer des personnes secourues en mer, dans le pays qu’elles ont justement fui au péril de leur vie ? Un pays dans une situation tellement désastreuse, qu’un sommet international pour la paix se tenait à Berlin, ce dimanche 19 janvier. Si les observateurs évoquent un « appel fragile de la communauté internationale pour relancer la paix en Libye », force est de constater que le chemin vers une issue du conflit est long, et que des êtres humains subissent les pires atrocités dans ce pays, comme nous l’ont raconté la plupart des rescapés à bord de l’Aquarius et aujourd’hui de l’Ocean Viking.

Un trou noir en Méditerranée centrale

La situation en mer Méditerranée centrale est aussi à déplorer. Au quotidien, le centre de coordination de recherche et de sauvetage libyen, le JRCC, ne fonctionne pas de manière efficace. La plupart du temps, il ne répond pas aux appels des équipes de l’Ocean Viking et ces dernières ne reçoivent quasiment plus les signalements de cas de détresse connus.

Ce manque de coordination empêche toute prise en charge rapide et efficace des personnes à bord d’embarcations en détresse, et augmente par conséquent le risque de noyade.

Par ailleurs, l’absence de relais de coordination dans cette zone par d’autres centres de coordination compétents, comme ceux de l’Italie et de Malte apparaît également problématique. Il en résulte un trou noir en Méditerranée centrale où les navires humanitaires et les ONG se débattent, avec leurs propres moyens, pour détecter des situations de détresse et réussir à porter secours aux rescapés dans les temps, et à les protéger. Ainsi, plus d’un tiers des opérations de sauvetage menées par l’Ocean Viking ont été repérées par nos équipes à la jumelle.

Si d’autres acteurs sont aussi présents sur cette zone de recherche et de sauvetage au large des côtes libyennes, leur rôle n’est pas le même. En effet, les garde-côtes libyens, qui interceptent régulièrement des embarcations surchargées de personnes qui tentent de fuir l’enfer libyen, les ramènent systématiquement en Libye.
Le 14 janvier 2020, l’OIM annonçait que près de 1000 personnes avaient été interceptées et renvoyées en Libye depuis le début de l’année.

Un triste décompte, qui n’est pas sans rappeler que notre présence en mer, ainsi que celle des autres navires humanitaires, restent indispensables.

En 2020, SOS MEDITERRANEE aura déjà cinq ans. Au commencement, nous n’étions qu’une poignée de citoyens. Nous avons affrété un navire, l’Aquarius, pour débuter notre mission. En 2018, nous avons dû nous en séparer. En 2019, nous avons pu reprendre la mer avec l’Ocean Viking. En 2020, nous sommes plus que jamais mobilisés pour continuer notre mission en Méditerranée centrale.

INFO DE DERNIERE MINUTE 24/01/2020 : l’Ocean Viking vient de secourir 92 personnes, dont 5 femmes enceintes et 38 mineurs, sur un canot pneumatique surchargé à 30 milles nautiques de la Libye. Extrêmement faibles et recouverts d’essence, beaucoup souffrent d’hypothermie et de mal de mer. 

 

Crédits photo : Hannah Wallace Bowman / MSF


[1] Amendement de 2004 porté à la Convention SAR

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