«Joyce*, une femme enceinte, présentait un état général médiocre qui exigeait une prise en charge rapide en soins intensifs.»
Christine, responsable de l’équipe médicale à bord, a décidé de tenir un carnet de bord relatant son expérience sur l’Ocean Viking. Lorsqu’elle a un instant – chose très rare – elle y consigne ses réflexions et ses observations.
Le vendredi 12 février 2021.
Pendant mon séjour sur l’Ocean Viking, nous avons secouru au total 796 personnes en détresse en Méditerranée. Quel sentiment étrange que d’être en quarantaine maintenant, alors que les personnes rescapées ont été réparties à travers toute l’Italie – certaines sont toujours en quarantaine sur un ferry juste à côté de notre navire, d’autres dans un centre d’accueil à deux heures d’ici, et pour beaucoup d’autres, nous ne savons malheureusement pas où elles ont été emmenées.
Mais revenons à la 2e séquence de cette rotation. Le 2 février, nous avons de nouveau mis le cap sur la zone de recherche et de sauvetage libyenne. En deux jours, nous avons secouru au total 423 personnes en détresse en mer, tandis que des centaines d’autres ont été interceptées et renvoyées en Libye par les garde-côtes libyens, en dépit du droit maritime.
Lorsque j’entends les hommes et les femmes à bord de l’Ocean Viking nous raconter leur séjour en Libye, je ne peux m’empêcher de penser à tous les autres qui doivent continuer à endurer cette souffrance. Il me paraît terrible de constater que [ces interceptions] se produisent non seulement sous les yeux de l’Europe mais avec son soutien. J’ai honte que «mon» gouvernement y contribue. Cela, je ne peux pas le comprendre.
Mais je pense néanmoins qu’il est important de ne pas sombrer dans l’amertume. Nous devons continuer à être là pour les autres. Abandonner n’est certes pas une alternative.
Je me souviens bien de ce deuxième cycle d’opérations. Le simple fait de répondre aux besoins fondamentaux des personnes rescapées – boire, manger, dormir… – était un défi pour toute l’équipe à bord. Mais les personnes secourues étaient patientes et compréhensives.
Crédit photo : Hippolyte / SOS MEDITERRANEE
Deux cas graves à bord
Pour nous, l’équipe médicale, c’était un moment particulier. Heureusement, l’état de santé de la plupart des rescapé.e.s était stable, ce qui nous a permis de nous concentrer sur une urgence aiguë. Joyce*, une femme enceinte, présentait un état général médiocre qui exigeait une prise en charge rapide en soins intensifs. Nous étions encore dans la région de recherche et de sauvetage libyenne, [dans les eaux internationales], d’où il est très difficile d’organiser les évacuations médicales.
Comme nous étions en attente d’un port sûr, nous avons navigué vers Malte dans l’après-midi. Notre sage-femme et notre médecin ont réussi à stabiliser quelque peu l’état de Joyce pendant la nuit, toutes deux sont restées à ses côtés 24 heures sur 24. Le père du bébé a également voulu rester avec elle, quitte à passer la nuit par terre dans notre clinique. Le lendemain matin, ils ont tous deux été évacués par un hélicoptère militaire maltais. Quel soulagement! Quelques jours plus tard, nous avons appris que l’état de santé de Joyce s’était amélioré. Nos pensées l’accompagnent.
Nous étions également très préoccupé.e.s par un jeune homme du Soudan qui a été battu en Libye peu de temps avant son départ en mer. Gravement blessé, il présentait notamment une profonde lésion à la tête, qui était très infectée. La moitié de son visage était enflée. Nous avons pu lui donner un antibiotique et panser sa plaie deux fois par jour pour soulager la douleur. Il était très stressé et n’arrivait pas à avaler quoi que ce soit. Nous étions soulagé.e.s pour lui aussi de ne pas avoir à attendre trop longtemps pour débarquer dans un lieu sûr.
Gestion de la COVID sur le navire
La pandémie a également fait des siennes sur l’Ocean Viking. Nous avons des tests rapides à bord et avons détecté la COVID-19 chez plusieurs des personnes que nous avons secourues. Nous avons d’abord testé les cas-contacts directs du petit groupe testé positif, puis les cas symptomatiques. Nous avons pu isoler les cas positifs. Le 8 février, le premier jour du débarquement, toutes les personnes secourues, l’équipage du navire et nous-mêmes, l’équipe [de SOS MEDITERRANEE] à bord, avons été soumis à un test par le ministère de la Santé italien. Une journée entière a été nécessaire. Pendant ce temps, les premières personnes secourues ont pu débarquer: les mineur.e.s, les malades et les femmes enceintes en premier.
Ce n’est que le 9 février, une fois toutes les personnes rescapées débarquées, que nous avons enfin poussé un soupir de soulagement. Nous étions épuisés. Une grande partie de l’équipage sera remplacée avant la prochaine mission en mer. Je n’en serai pas: je retournerai à Berlin dès la fin de la quarantaine. Retour à la maison. Si seulement toutes les personnes en déplacement pouvaient aussi trouver un foyer.
Crédit photo : Hippolyte / SOS MEDITERRANEE
Lire les Carnets de sauvetage de Christine
Carnet #1 «Je suis reconnaissante de pouvoir être là, de pouvoir être utile dans cette terrible situation.»
Carnet #2 «Tenez-vous prêts pour le sauvetage, tenez-vous prêts pour le sauvetage!»
Et Le Portrait de Christine
Crédit photo : Hippolyte / SOS MEDITERRANEE
*Les prénoms ont été changé pour protéger l’identité de ces personnes.