#58 – Le premier trimestre 2023, le plus meurtrier depuis 2017, provoque une condamnation des États européens par l’ONU

Cette publication de SOS MEDITERRANEE a pour but de faire le point sur les évènements qui se sont déroulés en Méditerranée centrale au cours des deux dernières semaines. Il ne s’agit pas de livrer une revue exhaustive des faits, mais plutôt de fournir des informations sur l’actualité de la recherche et du sauvetage dans la zone où nous intervenons depuis 2016, sur la base de rapports publiés par différentes ONG et organisations internationales ainsi que par la presse internationale.

[28.03 – 12.04.23]

Un gros bateau de pêche en détresse avec 400 personnes à bord secouru par un navire d’ONG

Le 1er avril, l’Ocean Viking a évacué 92 naufragé.e.s d’un canot pneumatique en détresse dans la zone libyenne de recherche et de sauvetage. Rapidement, le port italien de Salerne a été désigné comme lieu sûr. Tous les rescapé.e.s ont débarqué le 4 avril.

Le 29 mars, le Geo Barents de l’ONG Médecins Sans Frontières a quitté le port de Bari, en Italie, en direction de la zone d’opérations. Le 4 avril, l’équipage a effectué pendant 11 heures le sauvetage d’un gros bateau de pêche avec 440 personnes à bord. Les rescapé.e.s ont raconté avoir dérivé pendant quatre jours au milieu d’une mer démontée et de vents violents, dont deux jours sans nourriture ni eau, avant d’être finalement évacué.e.s par l’équipe du Geo Barents. Peu après le sauvetage, une personne retrouvée inconsciente sur l’embarcation en détresse a connu une évacuation sanitaire par hélicoptère. Riccardo Gatti, chef de mission sur le Geo Barents, a déclaré que c’était le sauvetage le plus difficile auquel il ait participé.  Il a en outre expliqué que le Geo Barents avait demandé à plusieurs reprises des instructions aux autorités maritimes compétentes, sans obtenir de réponse. Deux navires marchands se trouvaient à proximité de l’embarcation en détresse, mais n’étaient pas prêts à mener une opération aussi complexe. Après l’évacuation des naufragé.e.s vers le Geo Barents, les autorités italiennes ont ordonné à MSF de transborder 100 personnes sur un bateau italien au large de la Sicile, une opération réalisée le 5 avril. Les 339 restantes ont été débarquées le 7 avril à Brindisi, en Italie.

Le 7 avril, le Louise Michel a déposé un recours contre la détention du navire ordonnée par les autorités italiennes le 26 mars.

Le 6 avril, le voilier Nadir de l’ONG ResQship est parti en direction de la zone d’opérations. Le lendemain, l’équipage a porté secours à une barque en bois repérée par l’avion Seabird 2 de l’ONG Sea-Watch. Les 60 naufragé.e.s ont finalement été secouru.e.s par les garde-côtes italiens. Le 8 avril, l’équipage du ResQship a déclaré avoir porté assistance à six embarcations en détresse, soit en tout à près de 220 naufragés. Malheureusement, une personne est décédée au cours de l’une des opérations. Toutes les embarcations ont finalement été secourues par les garde-côtes italiens. Le lendemain, 9 avril, le Nadir a réalisé un sauvetage extrêmement difficile avec 25 personnes à la mer au moment où l’équipage est arrivé sur les lieux. L’équipage a pu récupérer 22 personnes et deux corps. Selon les rescapé.e.s, au moins 20 autres personnes se sont noyées.

Mois les plus meurtriers en Méditerranée centrale depuis 2017 : l’ONU appelle à une coordination des États européens et à la fin de la criminalisation des navires humanitaires

En addition aux personnes décédées signalées par le Nadir, la période pascale a été de nouveau meurtrière en Méditerranée centrale. Le 8 avril, au moins 23 personnes ont disparu après le naufrage de deux embarcations au large des côtes tunisiennes.  Quatre corps  ont également été repêchés au large de Sfax le même jour par les garde-côtes tunisiens. En tout, entre le 7 et le 10 avril, au moins 38 personnes sont mortes noyées. 18 autres personnes sont toujours portées disparues. Le 12 avril, 10 cadavres ont également été repêchés par les garde-côtes tunisiens et 20 à 30 personnes sont toujours portées disparues.  

Le 12 avril, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a publié un communiqué de presse alertant sur le fait que le premier trimestre 2023 est le plus meurtrier en Méditerranée centrale depuis 2017.  L’OIM souligne en outre que « le nombre croissant des pertes en vies humaines sur la traversée maritime la plus dangereuse du monde survient alors que des informations font état de retards dans les interventions de sauvetage menées par les Etats et d’entraves aux opérations des navires de recherche et de sauvetage des ONG en Méditerranée centrale ». L’ONU a documenté que dans six cas, les retards dans les sauvetages menés par les Etats ont entraîné la mort d’au moins 127 personnes, tandis que l’absence totale de réponse à un septième cas a coûté la vie à au moins 73 personnes. Le communiqué de presse appelle également les États à soutenir les « efforts effectués par les acteurs des ONG afin de fournir une assistance vitale » et à mettre fin à la criminalisation de leur mission de sauvetage de vies humaines.

L’Italie a déclaré l’état d’urgence face à l’augmentation soudaine des arrivées par la mer

Plus de 3 000 personnes ont été secourues par les garde-côtes italiens pendant le week-end de Pâques, selon InfoMigrants. Des bateaux de pêche transportant jusqu’à 800 personnes ont été repérés en détresse avant d’être finalement secourus par les autorités maritimes italiennes. Certaines embarcations seraient restées en mer pendant plusieurs jours avant d’être secourues. Selon la hotline civile Alarm Phone, une embarcation en détresse dans la région maltaise de recherche et de sauvetage avec environ 400 personnes à bord a été abandonnée par les autorités maltaises, qui ne sont pas intervenues pour porter assistance à l’embarcation comme l’exige le droit maritime. L’embarcation a finalement reçu l’assistance des garde-côtes italiens.

Le 11 avril, des ministres italiens ont appelé à l’état d’urgence en réponse à l’afflux massif d’arrivées. Le ministre de la Mer et de la Protection civile, Nello Musumeci, a déclaré que le nombre d’arrivées représentait une « urgence absolue » qui mettait en danger les infrastructures italiennes. « Nous parlons d’un phénomène jamais vu dans le passé. Les îles ne peuvent à elles seules faire face à cet état d’urgence ». La mesure, soutenue par un prêt initial de 5 millions d’euros, durera 6 mois. Le ministre a en outre souligné que l’état d’urgence ne résoudrait pas le problème car il nécessitait une intervention responsable de l’Union européenne.

Entretemps, le 30 mars, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné l’Italie pour « traitement dégradant » infligé à quatre migrants sur l’île de Lampedusa, pour détention sans base légale claire et pour « expulsion collective » sans évaluation individualisée. Le 4 avril, 15 personnes ont été arrêtées en Calabre pour présomption de trafic d’êtres humains, ce qui représente la première application du décret dit « décret Cutro » pris le 9 mars par le  gouvernement Meloni, qui introduit une peine de 20 à 30 ans de prison pour les personnes accusées de trafic d’êtres humains. Dans ce contexte, l’avocat Gianfranco Schiavone – membre de l’Association pour les études juridiques sur l’immigration (Asgi) – a expliqué que « souvent, les personnes arrêtées comme pilotes des bateaux font partie des migrants qui ont fait la traversée, ou qui ont été placées sous chantage dans le siège du pilote. Il est peu probable que ceux qui organisent les traversées montent à bord. Ainsi, ces personnes finissent par être accusées de crimes très graves tandis que le vrai passeur s’en tire indemne ».

Les interceptions se poursuivent alors que le Conseil de l’Europe appelle les Etats européens à mettre fin aux pratiques illégales de refoulement

Entre le 26 mars et le 1er avril, 344 personnes ont été renvoyées de force en Libye par les garde-côtes libyens, selon l’OIM.

Selon les garde-côtes tunisiens, plus de 14 000 personnes ont été renvoyées en Tunisie après une tentative de fuite par la mer au cours de 501 opérations.  Les chiffres sont « cinq fois plus élevés » qu’à la même période l’an dernier. La plupart des opérations se seraient déroulées au large de Sfax ou de Mahdia.

Le 30 mars, le Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) du Conseil de l’Europe a publié un rapport appelant « les Etats européens à mettre fin aux pratiques illégales de refoulement et aux mauvais traitements infligés aux ressortissants étrangers privés de liberté lors de refoulements forcés aux frontières ».

Crédit photo : Jérémie Lusseau / SOS MEDITERRANEE