Cette publication de SOS MEDITERRANEE a pour but de faire le point sur les évènements qui se sont déroulés en Méditerranée centrale au cours des deux dernières semaines. Il ne s’agit pas de livrer une revue exhaustive des faits, mais plutôt de fournir des informations sur l’actualité de la recherche et du sauvetage dans la zone où nous intervenons depuis 2016, sur la base de rapports publiés par différentes ONG et organisations internationales ainsi que par la presse internationale.
[14.03 – 27.03.23]
Un week-end terrible : des coups de feu tirés près d’un navire d’ONG, d’autres vers des personnes en détresse, des personnes renvoyées de force en Libye sur fonds de violence extrêmes dans ce pays et un navire de sauvetage arrêté.
Dans la matinée du 25 mars, le navire humanitaire l’Ocean Viking de l’ONG SOS MEDITERRANEE a été alerté de la présence d’une embarcation en détresse dans les eaux internationales au large de la Libye par la hotline civile d’urgence Alarm Phone. Alors qu’il se dirigeait vers l’embarcation en détresse, le patrouilleur 656 des garde-côtes libyens est arrivé sur les lieux, s’approchant dangereusement de l’Ocean Viking. Toutes les tentatives de l’équipe de la passerelle afin de contacter ce navire via VHF sont restées sans réponse, pendant que l’équipage du patrouilleur des garde-côtes libyens commençait des manoeuvres agressive, menaçant l’équipage avec des armes à feu et tirant des coups de feu en l’air. La sécurité de l’équipage étant menacée, l’Ocean Viking s’est éloigné des lieux à plein régime, tandis que les garde-côtes libyens continuaient de tirer des coups de feu. L’avion civil de reconnaissance Seabird 2, de l’ONG Sea Watch, surveillait la zone. Seabird 2 confirmera plus tard avoir repéré des personnes tombées par-dessus bord depuis les embarcations pneumatiques et récupérées par la suite. Au total, près de 80 personnes ont finalement été interceptées par les garde-côtes libyens et renvoyées de force en Libye. Rien qu’entre le 19 et le 25 mars, 448 personnes ont été renvoyées de force dans ce pays, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).
Très tôt le matin du 24 mars, le Geo Barents de l’ONG Médecins Sans Frontières (MSF) a secouru 190 personnes d’une embarcation en bois avec l’aide du navire de sauvetage Louise Michel, qui a d’abord stabilisé le bateau et distribué des gilets de sauvetage. Peu de temps après, les autorités maritimes italiennes lui ont assigné Bari, en Italie, comme port de débarquement, à 1 100 km de distance. Tou.te.s les rescapé.e.s ont finalement pu débarquer à Bari le 26 mars.
Plus tard dans la journée, le Louise Michel a évacué 78 personnes se trouvant à bord d’une embarcation en bois en détresse. Au cours de l’opération de sauvetage, les garde-côtes libyens sont arrivés sur les lieux, provoquant des « interférences dangereuses ». Heureusement, toutes les personnes naufragées ont finalement pu être transférées à bord du Louise Michel. Le navire a également évacué 38 autres personnes d’une embarcation métallique peu de temps après. Puis dans la nuit du 24 mars, l’équipage a secouru deux autres embarcations métalliques, et mis en sécurité 67 personnes. L’une des embarcations avait chaviré et plusieurs personnes avaient été récupérées dans l’eau. Trois personnes inconscientes ont été évacuées sanitaires. Lors du débarquement des 180 rescapé.e.s à Lampedusa le 25 mars, l’équipage a été informé oralement par les autorités italiennes de l’immobilisation du navire, à la lumière du nouveau décret-loi italien. Le 26 mars, le Louise Michel a reçu la notification officielle que le navire serait immobilisé pendant 20 jours par les autorités italiennes. Après le Geo Barents, il s’agit du deuxième navire immobilisé depuis la ratification du décret-loi italien en janvier 2023.
Dans la nuit du 24 et au matin du 25 mars, Life Support de l’ONG Emergency, a effectué trois autres sauvetages, mettant en sécurité 161 rescapé.e.s. Ortona, en Italie, désigné comme port de débarquement, a été atteint le 28 mars.
Cinq autres naufrages meurtriers et des interceptions au large de la Tunisie, alors que les préoccupations de l’UE concernant la situation économique et sociale du pays se font plus fortes.
Selon Al Jazeera, entre le 22 et le 26 mars, au moins cinq embarcations ont coulé au large de la ville de Sfax, dans le sud de la Tunisie, faisant 67 disparu.e.s et 9 morts. Au cours de cette même période, toujours d’après Al Jazeera, les garde-côtes tunisiens ont intercepté près de 80 embarcations qui tentaient de fuir la côte, et placé en détention plus de 3 000 personnes. Selon l’Agence Tunisienne de Presse, les garde-côtes tunisiens ont déjà empêché 18 embarcations de quitter le pays le 18 mars et ramené 635 personnes à terre.
Le 20 mars, le chef de la diplomatie de l’UE, Josep Borrell, a déclaré que « la situation en Tunisie était très, très dangereuse » et prédit des répercussions sur l’Europe, car une catastrophe économique ou sociale pourrait provoquer une vague de départs de la Tunisie. Il a en outre déclaré que cette situation « devait être évitée ».
La vague des arrivées depuis l’an dernier en Italie se poursuit.
Selon les données du ministère italien de l’Intérieur, plus de 7 000 personnes sont arrivées en Italie au cours des deux dernières semaines, principalement entre le 23 et le 27 mars. Des embarcations seraient parties de Turquie, de Libye et de Tunisie. Certaines personnes sont arrivées de manière autonome, d’autres ont été secourues par les garde-côtes italiens ou des navires d’ONG (531 personnes). Le 27 mars, les garde-côtes italiens ont secouru environ 650 personnes lors d’une seule opération de sauvetage en Calabre.
Le soutien continu de l’UE aux autorités libyennes condamné par les Nations unies, alors qu’un rapport de l’ONU confirme leur responsabilité dans des crimes contre l’humanité.
Le 20 mars, l’opération EUNAVFOR MED IRINI commencée il y a trois ans a été renouvelée pour l’année prochaine avec un budget d’environ 16 millions d’euros. Les objectifs de la mission militaire européenne sont de lutter contre le trafic illégal d’armes en provenance de Libye, contre les réseaux illicites de carburant et la traite d’êtres humains, et aussi de former les garde-côtes libyens. Le 25 mars, l’Italie a livré deux bateaux d’intervention rapide à la Sécurité côtière libyenne (GACS).
Pourtant, le 27 mars, l’OIM a exprimé ses préoccupations quant aux conséquences de l’incident du 25 mars entre l’Ocean Viking et les garde-côtes libyens, déclarant que « tout soutien aux entités libyennes opérant en mer devait être subordonné au respect et au maintien des droits fondamentaux des migrants dans le pays ». Un nouveau rapport publié le même jour par la mission d’enquête des Nations Unies en Libye relate des crimes contre l’humanité commis contre des Libyens et des migrants dans l’ensemble du pays depuis 2016 et souligne le rôle des garde-côtes libyens et de l’UE dans cette situation.
Le même jour, le journaliste David Carretta a posé une question à la Commission européenne sur l’événement du 25 mars impliquant le patrouilleur libyen 656, offert aux garde-côtes libyens par l’Italie dans le cadre du soutien de l’UE à la Libye. Le porte-parole de la Commission européenne, Peter Stano, a déclaré qu’il fallait d’abord reconstituer les faits, avant d’assurer le suivi nécessaire.
Crédit photo : Jérémie Lusseau / SOS MEDITERRANEE