Cette publication de SOS MEDITERRANEE a pour but de faire le point sur les évènements qui se sont déroulés en Méditerranée centrale au cours des deux dernières semaines. Il ne s’agit pas de livrer une revue exhaustive des faits, mais plutôt de fournir des informations sur l’actualité de la recherche et du sauvetage dans la zone où nous intervenons depuis 2016, sur la base de rapports publiés par différentes ONG et organisations internationales ainsi que par la presse internationale.
Des navires d’ONG menacés par les garde-côtes libyens alors qu’ils comblent le vide laissé par les États européens
Le 21 janvier, selon le journaliste italien de Radio Radicale Sergio Scandura, 43 personnes ont été secourues par le pétrolier Iblea au large de Benghazi, en Libye, à la suite d’une alerte de la hotline civile Alarm Phone. L’opération de sauvetage a été coordonnée par le Centre italien de coordination du sauvetage en mer, qui a assigné le port italien d’Augusta comme lieu sûr. Les 43 rescapé.e.s ont ensuite été transféré.e.s à Tarente, en Italie.
Le 24 janvier, alors qu’il patrouillait dans la région libyenne de recherche et de sauvetage, le Geo Barents, affrété par Médecins Sans Frontières a été témoin de l’interception d’une embarcation en détresse par des garde-côtes libyens. Alors qu’elle s’approchait des lieux où les gens étaient en train de sauter par-dessus bord, l’équipe à bord du Geo Barents a été menacée de mort si elle ne quittait pas la zone.
Le même jour, après presque un an de blocus, l’avion Sea Bird 2, affrété par l’ONG allemande Sea-Watch, a repéré trois embarcations en détresse, dont deux étaient en train d’être interceptées par les garde-côtes libyens. La troisième embarcation a été secourue par le Geo Barents. Les 69 rescapé.e.s, dont 9 femmes et 25 mineur.e.s, n’ont été autorisé.e.s à débarquer qu’à 100 heures de navigation de la zone de leur sauvetage, dans le port italien de La Spezia.
Le 25 janvier, sur le trajet du port de débarquement assigné, le Geo Barents a mené deux autres opérations de sauvetage, à la suite d’alertes de détresse relayées par le réseau civil Alarm Phone. Au total, 61 personnes, dont 13 femmes et 24 mineur.e.s – le plus jeune ayant moins de 1 an – ont été secourues d’une embarcation pneumatique surchargée.
Au cours de la deuxième opération, 107 personnes ont été secourues d’une autre embarcation pneumatique surchargée en détresse dans les eaux internationales au large de la Libye, dont 5 femmes et 36 mineur.e.s. Les 237 rescapé.e.s ont débarqué à La Spezia le 28 janvier. Selon le journal italien La Repubblica, les mineur.e.s non accompagné.e.s ont ensuite été envoyé.e.s à Foggia en bus, à 800 kilomètres au sud de La Spezia, plus près de l’endroit où les rescapé.e.s avaient d’abord été secouru.e.s.
Entre-temps, le 25 janvier, les équipes à bord de l’Ocean Viking se sont engagées dans une opération de sauvetage complexe, en évacuant 95 rescapé.e.s d’une embarcation pneumatique surchargée dans les eaux internationales au large de la Libye, à la suite d’une alerte de détresse relayée par l’avion Sea Bird 2.
Alors que l’opération de sauvetage était en cours, un patrouilleur des garde-côtes libyens est arrivé sur les lieux, interférant avec l’opération et compromettant la sécurité des équipes et des rescapé.e.s par des manœuvres dangereuses.
Quatre personnes disparues, non recherchées par des patrouilleurs des garde-côtes libyens
Une fois en sécurité à bord, les rescapé.e.s ont rapporté qu’au moins douze personnes étaient tombées par-dessus bord avant l’arrivée de l’Ocean Viking. Les personnes restées à bord de l’embarcation impropre à la navigation ont pu récupérer huit personnes, mais quatre autres étaient portées disparues. L’équipe de SOS MEDITERRANEE les a recherchées à l’aide de canots de sauvetage rapides et d’une observation active depuis le pont jusqu’à ce qu’il fasse complètement nuit, en vain. Deux patrouilleurs libyens qui se trouvaient sur zone ont été informés des recherches et sont partis sans répondre aux demandes d’aide de l’Ocean Viking pour rechercher les personnes disparues.
Plus tard dans la journée, les autorités maritimes italiennes ont assigné le port de Carrare, au nord de l’Italie, pour le débarquement des rescapé.e.s, à 1 500 km de la zone d’opération, impliquant une navigation de 3 jours et exposant les femmes, les hommes et les enfants aux vagues, à la pluie, au vent et au froid. Les 95 rescapé.e.s à bord de l’Ocean Viking ont pu finalement être mis.e.s en sécurité à Carrare le 29 janvier.
Des naufrages tragiques au large de la Libye et de la Tunisie font de nombreuses victimes
Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), deux corps ont été retrouvés au large d’Ejdabiya, en Libye, le 16 janvier.
Une embarcation transportant au moins 150 personnes a chaviré au large de la ville de Garabulli, en Libye, le 24 janvier. Au moins huit personnes sont mortes et 58 autres sont toujours portées disparues, selon le Croissant-Rouge libyen. Les 84 rescapé.e.s du naufrage ont été conduit.e.s dans des «centres de détention pour migrants gérés par le gouvernement».
Dans la nuit du 28 au 29 janvier, un autre naufrage a endeuillé la Méditerranée centrale : selon l’agence de presse italienne ANSAmed, au moins 13 personnes ont disparu après le naufrage de leur embarcation au large de Louata, à Sfax, en Tunisie, tandis que les garde-côtes tunisiens ont pu récupérer 24 survivants.
L’Italie fournira cinq bateaux « entièrement équipés » aux garde-côtes libyens alors que les interceptions et les retours forcés vers la Libye se poursuivent
Au total, entre le 15 et le 28 janvier, 331 hommes, enfants et femmes ont été intercepté.e.s par les autorités maritimes libyennes et renvoyé.e.s de force en Libye selon l’Organisation internationale pour les migrations. Entre le 15 et le 21 janvier 2023, aucune interception n’a eu lieu.
Pendant ce temps, le 28 janvier, lors d’une visite officielle en Libye de plusieurs représentants du gouvernement italien, dont la Première ministre et le ministre de l’Intérieur, l’Italie a annoncé qu’elle fournirait cinq bateaux « entièrement équipés » aux garde-côtes libyens « pour aider à endiguer le flux de migrants vers les côtes européennes », selon l’agence Associated Press.
A l’issue de l’audience du 10 novembre 2022, la Cour d’appel de Naples a confirmé la condamnation du capitaine du navire privé Asso 28 de la compagnie Augusta Offshore pour avoir ramené en Libye plus d’une centaine de personnes secourues en mer. La Cour d’appel a confirmé la décision du tribunal de Naples qui avait considéré que la conduite du capitaine intégrait les crimes de « débarquement et d’abandon arbitraire de personnes » et d’«abandon de mineur ».
Les événements avaient eu lieu le 30 juillet 2018, lorsque le remorqueur d’Augusta Offshore, l’Ace 28, opérant en soutien de la plate-forme Sabratha, avait été alerté de la présence d’une embarcation avec 101 personnes à bord. L’Ace 28 aurait intercepté l’embarcation pneumatique, et débarqué les rescapé.e.s dans le port de Tripoli.
Le Conseil européen conteste le nouveau décret-loi italien
Le 30 janvier, un Conseil d’experts de la Conférence des OING du Conseil de l’Europe a émis un avis sur le décret-loi italien n° 1, signé le 2 janvier 2023, relatif aux opérations de recherche et de sauvetage en Méditerranée. Le Conseil d’experts recommande au gouvernement italien de « procéder à des consultations efficaces avec les représentants de la société civile les plus touchés (en particulier les ONG de recherche et de sauvetage) avant d’entreprendre de traduire le décret-loi n° 1/2023 en un texte législatif formel ». En outre, le Conseil de l’Europe appelle le gouvernement italien à « révoquer [le décret] en attendant que ces consultations puissent avoir lieu, jusqu’à ce que des mesures adéquates et efficaces soient prises pour veiller à ce que la vie des migrants ne soit pas mise en danger par l’impossibilité, pour les ONG de recherche et de sauvetage, de travailler efficacement ».
Suite à l’avis rendu, la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatović, a envoyé une lettre au ministre italien de l’Intérieur, Matteo Piantedosi, appelant le gouvernement italien à retirer ou à réviser le décret-loi 1/2023 réglementant les activités des navires dédiés à la recherche et au sauvetage en Méditerranée. : « Je crains, écrit-elle, que l’application de certaines de ces règles puisse entraver la fourniture d’une assistance vitale par les ONG en Méditerranée centrale et, par conséquent, puisse être en contradiction avec les obligations de l’Italie concernant les droits de l’homme et le droit international ».