#50 – Les migrants otages de débats politiques pendant 21 jours, alors que les naufrages se multiplient aux portes de l’Europe 

Cette publication de SOS MEDITERRANEE a pour but de faire le point sur les évènements qui se sont déroulés en Méditerranée centrale au cours des deux dernières semaines. Il ne s’agit pas de livrer une revue exhaustive des faits, mais plutôt de fournir des informations sur l’actualité de la recherche et du sauvetage dans la zone où nous intervenons depuis 2016, sur la base de rapports publiés par différentes ONG et organisations internationales ainsi que par la presse internationale.

 

Sauvetages au large des côtes maltaises et libyennes : les droits de plus de 1 000 personnes violés par les autorités maritimes européennes, après l’interdiction par l’Italie d’ouvrir ses ports aux navires humanitaires et la mise en place de débarquements discriminatoires. 

 

Entre le 22 et le 26 octobre, l’Ocean Viking a secouru 234 femmes, enfants et hommes, dont plus de 40 mineur.e.s non accompagné.e.s, lors de six opérations distinctes dans les zones de recherche et de sauvetage maltaise et libyenne, tandis que le navire Humanity 1 de l’ONG SOS Humanity effectuait trois sauvetages, portant assistance à un total de 180 personnes.  

Le 22 octobre, Georgia Meloni, leader d’extrême-droite du parti politique « Fratelli d’Italia », a prêté serment en tant que Première ministre italienne, aux côtés de son gouvernement. Deux jours plus tard, le nouveau ministre italien de l’Intérieur, Matteo Piantedosi, donnait l’ordre aux chefs des forces de police et à la capitainerie « d’évaluer la conduite » de l’Ocean Viking (affrété par SOS MEDITERRANEE) et du Humanity 1 (affrété par SOS Humanity) dans le but de faire interdire l’entrée de ces deux navires humanitaires dans leurs eaux territoriales.  

Le 27 octobre, alors que les navires étaient toujours bloqués en mer sans solution pour un débarquement sûr, l’évacuation sanitaire d’un mineur non-accompagné a dû être réalisée depuis le Humanity 1, alors que le navire de MSF effectuait plusieurs sauvetages. Entre le 27 et le 29 octobre, le Geo Barents a secouru 572 personnes de sept embarcations en détresse.  

Le 2 novembre, face à une situation critique de blocage en mer suite à de multiples demandes infructueuses de débarquement dans un port sûr auprès des autorités maritimes compétentes, l’Ocean Viking a renouvelé ses requêtes d’assistance auprès des autorités maritimes françaises, grecques et espagnoles, afin que soit trouvé un port sûr. Plus tard, le 10 novembre, trois patients et un proche ont dû être évacués sanitaires d’urgence par hélicoptère. Peu de temps après, les autorités françaises ont finalement ordonné à l’Ocean Viking de se rendre au port militaire de Toulon pour débarquer les 230 rescapé.e.s toujours à bord. Le débarquement s’est achevé le 11 novembre, 21 jours après la première évacuation des personnes en détresse secourues en pleine mer.  

Entre-temps, le 4 novembre, l’Humanity 1 a informé les autorités maritimes italiennes qu’il n’avait d’autre choix que d’ entrer dans les eaux territoriales au large de la ville sicilienne de Catane pour se mettre à l’abri des hautes vagues et des vents violents. Le même jour, le capitaine de l’Humanity 1 a reçu un arrêté signé par les ministres italiens de l’Intérieur, de la Défense et des Infrastructures et de la Mobilité lui interdisant de rester dans les eaux territoriales italiennes plus longtemps que « nécessaire pour assurer les opérations de sauvetage et d’assistance aux personnes », dans une situation d’urgence et des conditions sanitaires précaires. D’après SOS Humanity, le décret indiquait : « les personnes particulièrement vulnérables seront identifiées et seule une sélection de rescapé.e.s sera ramenée à terre depuis le navire mouillant à l’extérieur du port ». Dans la nuit du 5 au 6 novembre, 144 personnes ont été autorisées à débarquer à Catane et 35 autres sont restées bloquées à bord de l’Humanity 1. A son tour, SOS Humanity a intenté une action en justice contre le gouvernement italien, dénonçant le système inhumain de débarquement partiel et ses risques sur la sécurité des rescapé.e.s, de l’équipage et du navire. Le 6 novembre, une grève de la faim a débuté parmi les 35 personnes secourues à bord du Humanity 1. Le 9 novembre, toutes les personnes ont finalement été autorisées à débarquer à Catane. 

Le 6 novembre, le Geo Barents a été soumis à la même procédure de débarquement sélectif et discriminatoire, à Catane : 215 personnes rescapées ont été sommées de rester à bord par les autorités italiennes. Le lendemain, trois d’entre elles ont sauté par-dessus bord dans un geste de désespoir, l’équipage de MSF révélant que les rescapé.e.s souffraient de crises de panique. Le même jour, un patient a dû être évacué médicalement depuis le navire. Le débarquement des personnes restant à bord du Geo Barents s’est achevé le 8 novembre à Catane. Le 22 novembre, MSF a annoncé avoir interjeté appel contre l’arrêté interministériel notifié au Geo Barents le 5 novembre, interdisant au navire de faire escale dans les eaux territoriales nationales “au-delà du temps nécessaire pour assurer les opérations de sauvetage et d’assistance à une partie seulement des personnes rescapées”, formulé par les autorités italiennes compétentes. 

Le 3 novembre, le navire Rise Above, de l’ONG Mission Lifeline, a secouru 95 personnes au cours de trois opérations. Le 6 novembre, quatre patients ont dû être évacués médicalement. Le 7 novembre, le Rise Above a été autorisé à débarquer les rescapé.e.s à Reggio de Calabre.  

 

De multiples sauvetages au large des côtes italiennes réalisés par les autorités européennes et des navires marchands : les personnes rescapées.s sont rapidement débarquées, conformément au droit maritime   

 

Alors que SOS MEDITERRANEE, SOS Humanity, MSF et Mission Lifeline ont été confrontées à des blocages dans la coordination de leurs opérations de sauvetage, de multiples sauvetages ont été réalisés par les autorités maritimes européennes et des navires marchands. Selon le journaliste Sergio Scandura, le 25 octobre, les garde-côtes ioniens ont secouru 1 800 personnes qui étaient parties de Libye. Le 27 octobre, 72 personnes ont été secourues par les garde-côtes espagnols au large de la Sicile en coopération avec les garde-côtes italiens et Frontex, puis débarquées dans le port sicilien d’Augusta. Le lendemain, le cargo “Christina V” a débarqué 150 personnes dans le port de Trapani. Le 30 octobre, 50 autres personnes ont été secourues par les garde-côtes italiens. Le 1er novembre, 383 personnes ont été secourues lors d’une opération conjointe des garde-côtes italiens et de Frontex. Le 7 novembre, près de 600 personnes ont été secourues avec l’aide des garde-côtes italiens, de Frontex et de navires de commerce. 

Le 10 novembre, le voilier Nadir de l’ONG ResQship a porté secours à plus de 200 personnes dans cinq embarcations en détresse. Les garde-côtes italiens ont achevé les opérations de sauvetage. Le lendemain, l’équipage du Nadir a assisté environ 80 personnes retrouvées sur deux embarcations en détresse. Toutes ont été débarquées à Lampedusa par les garde-côtes italiens.  

Selon la journaliste Angela Caponnetto, au cours des trois dernières semaines, 15 000 personnes sont arrivées rien qu’en Italie, ou ont été secourues par les garde-côtes italiens.  

 

Toujours plus de naufrages et de corps sans vie recensés en Méditerranée centrale 

 

Le 21 octobre, 2 enfants sont signalés morts après l’explosion de leur bateau dans la zone maltaise de recherche et de sauvetage. Trois jours plus tard, quatre personnes sont portées disparues après un naufrage à environ vingt-quatre milles au large de Lampedusa. Le 27 octobre, un nouveau naufrage au large de Lampedusa se produit : 31 personnes dont 9 femmes et un mineur sont secourues mais le corps d’une femme est repêché tandis qu’un homme est porté disparu. Le même jour, un corps est repêché à quelques milles au large de Lampedusa par un patrouilleur de la Capitainerie se dirigeant vers la jetée Favarolo du port. Il s’agit du sixième corps retrouvé au cours des trois derniers jours au large des côtes de l’île.  

Le 11 novembre, un nourrisson de 20 jours a été retrouvé mort après un sauvetage effectué par les garde-côtes italiens au large de Lampedusa. Deux autres personnes rescapées ont été gravement brûlées. Le même jour, l’interception de deux embarcations par la marine tunisienne au large de Chebba a provoqué la mort de trois enfants. Selon des témoins, l’intervention a semé la panique et plusieurs personnes sont tombées de l’embarcation surchargée. Trois enfants se sont noyés.  

Le 20 novembre, la mort d’au moins quatre personnes a été confirmée, et au moins trois autres sont portées disparues, tandis que sept personnes ont été secourues après que leur embarcation ait été en difficulté entre l’Algérie et la Sardaigne. 

 

Multiplication du nombre de personnes renvoyées de force vers des détentions arbitraires et des sévices en Libye  

 

Le 19 octobre, les garde-côtes libyens ont intercepté 96 personnes, dont des enfants et des femmes. Elles ont été débarquées à Tripoli. Le 22 octobre, les équipes de l’Ocean Viking ont également été témoins de deux interceptions, menées par le patrouilleur libyen 656 passant à côté du navire avec de nombreuses personnes rescapées à l’avant. Cinq jours plus tard, l’avion Sea Bird de l’ONG Sea Watch a rapporté avoir vu des garde-côtes libyens intercepter des rescapé.e.s sur une embarcation en détresse. 

Entre le 13 et le 19 novembre, 235 personnes ont été interceptées par les autorités libyennes selon l’OIM. Au total, 20 842 personnes ont été renvoyées de force en Libye en 2022.  

 

Accord Italie-Libye : reconduction automatique pour trois ans du soutien de l’UE à la Libye, alors que la Cour pénale internationale dénonce des crimes contre l’humanité 

 

Le 26 octobre, quarante organisations ont appelé le gouvernement italien à révoquer le 2017 MoU – Memorandum of Understanding avec la Libye lors d’une manifestation à Rome. L’accord entre les deux pays, avec le soutien de l’Union européenne (UE) et des États associés, a été automatiquement renouvelé le 2 novembre pour trois ans. Dans le cadre de cet accord, l’Italie et les États membres et associés aident les garde-côtes libyens à renforcer la capacité de surveillance maritime libyenne en fournissant un soutien financier et des moyens techniques, au détriment du respect des droits de l’Homme. Selon le magazine italien Altreconomia, l’Italie a signé un contrat de 6,5 millions d’euros pour fournir 14 bateaux supplémentaires aux autorités libyennes, afin d’intercepter les personnes tentant de fuir la Libye sur des embarcations impropres à la navigation, et de renvoyer de force les rescapé.e.s en Libye, bien que ce pays ravagé par la guerre ne puisse pas être considéré comme un lieu sûr selon les organisations de l’ONU. Entre-temps, le 26 octobre, l’ONG Sea-Watch a diffusé une vidéo montrant un navire des garde-côtes libyens en train de menacer, avec des armes, l’avion de surveillance Seabird dans la zone de recherche et de sauvetage maltaise.   

Le 11 novembre, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Kharim Khan, a annoncé au Conseil de sécurité de l’ONU qu’il avait émis de nombreux mandats d’arrêt pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et crimes contre des personnes issues de l’immigration en Libye. Certaines des personnes responsables de ces crimes de guerre font partie des garde-côtes et des forces de police libyennes. Il a déclaré : « C’est une obligation collective de veiller à ce que les responsables de ces crimes soient reconnus responsables. Tous les patrons mis en examen sont des chefs de clans partageant le pouvoir : de l’armée aux garde-côtes, de la « police du pétrole » aux escadrons de la mort au service du général Haftar. […] Lorsque les demandes deviendront des mandats d’arrêt internationaux, il sera plus difficile pour de nombreux gouvernements – dont l’Italie, Malte, la France, la Turquie, la Russie – de refuser de coopérer malgré les relations intéressées qu’ils entretiennent avec ces personnes. 

 

La Commission européenne remet le dossier de la recherche et du sauvetage en mer à l’ordre du jour européen 

 

Le 9 novembre, pour la première fois, la Commission européenne a rappelé le droit maritime international dans une déclaration sur la situation en Méditerranée centrale : « l’obligation légale de secourir et de veiller à ce que la sécurité de la vie humaine en mer soit claire et sans équivoque, quelles que soient les circonstances qui conduisent les personnes à se trouver dans une situation de détresse. Alors que les rescapé.e.s restaient bloqué.e.s en mer sur les navires de sauvetage Ocean Viking, Geo Barents et Humanity, la Commission européenne a appelé les États à « travailler ensemble pour assurer une réponse commune, le caractère sacré de la vie devant être l’objet d’une considération primordiale ». En outre, le principe de solidarité européenne a été rappelé pour faire appliquer un mécanisme de débarquement prévisible : « Il est important de fournir un soutien aux États membres qui reçoivent régulièrement des arrivées par voie maritime. Sur la base du mécanisme de solidarité convenu d’un commun accord, un nombre important de places de relocalisation sont disponibles pour aider à atténuer une partie de la pression due à la relocalisation vers d’autres États membres”. 

Le 21 novembre, la Commission européenne a présenté un «Plan d’action pour la Méditerranée centrale destiné à relever les défis immédiats ». Le plan d’action propose une série de 20 mesures articulées autour de trois piliers qui seront mis en œuvre par l’Union européenne et ses États membres avec pour objectifs de « réduire la migration irrégulière et dangereuse, apporter des solutions aux défis émergents dans le domaine de la recherche et sauver et renforcer la solidarité entre les États membres ».   

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