#42 – Tragédies à répétition en mer

Des femmes, des enfants et des hommes se noient alors que les ONG font face à des blocages et que les garde-côtes libyens multiplient les « violations généralisées et systématiques des droits humains ».

Cette publication de SOS MEDITERRANEE a pour but de faire le point sur les évènements qui se sont déroulés en Méditerranée centrale au cours des trois dernières semaines. Il ne s’agit pas de livrer une revue exhaustive des faits, mais plutôt de fournir des informations sur l’actualité de la recherche et du sauvetage dans la zone où nous intervenons depuis 2016, sur la base de rapports publiés par différentes ONG et organisations internationales ainsi que par la presse internationale.

Plus de 800 femmes, enfants et hommes assisté.e.s ou secouru.e.s par des organisations civiles de sauvetage, témoignent d’effroyables tragédies


Le 19 juin, 261 personnes secourues par le navire marchand Aslihan et le bateau de sauvetage Louise Michel ont été transférées à bord du Sea Watch 4. Le  20 juin, l’équipe du Sea Watch 4 a porté secours à 23 personnes en détresse, avant de recueillir à son bord 29 personnes secourues par le voilier Nadir.

Entre le 22 et 27 juin, onze personnes rescapées ont dû être évacuées du Sea Watch 4 pour raisons médicales, dans l’attente d’un lieu sûr de débarquement. Au cours de la dernière évacuation médicale, alors que le bateau italien s’approchait du Sea Watch 4, plusieurs personnes ont sauté par-dessus bord dans l’espoir de débarquer enfin, après près de dix jours d’attente pour certaines d’entre elles. Toutes ont été récupérées, saines et sauves. Le 27 juin au soir, Porto Empedocle a été désigné comme port de débarquement pour les personnes rescapées encore à bord du Sea-Watch 4. Toutes ont débarqué le 28 juin.

Le 23 juin, le voilier Nadir, de l’ONG ResQship, a secouru 19 personnes  en détresse dans la région de recherche et de sauvetage maltaise. L’ONG a expliqué que ces personnes avaient dérivé en mer pendant trois jours avant d’être secourues. Le 26 juin, les autorités italiennes ont désigné Lampedusa comme lieu sûr de débarquement pour les rescapé.e.s à bord du Nadir.

Le 24 juin, le Louise Michel a réalisé le sauvetage à haut risque de 59 personnes qui étaient tombées à l’eau pendant que les garde-côtes libyens effectuaient des manœuvres dangereuses autour de l’embarcation en détresse. Selon le Louise Michel, le patrouilleur libyen était guidé par un hélicoptère maltais. Le 27 juin, les rescapé.e.s ont pu débarquer à Lampedusa.

Le 27 juin, l’équipe de sauvetage du Geo Barents, de l’ONG Médecins sans frontières (MSF), a été témoin d’une tragédie  Elle est arrivée sur la scène terrible d‘un naufrage en cours, avec des personnes tombées à l’eau, à plus de 300 mètres l’une de l‘autre. L’équipe est parvenue à secourir 71 personnes d’une mort certaine. Un bébé de quatre mois a été réanimé. 30 personnes sont portées disparues, dont cinq femmes et huit enfants. Une femme enceinte est décédée sur le pont du Geo Barents. Après de multiples évacuations médicales et cinq jours d’attente, le port de Taranto a finalement été désigné comme lieu sûr pour le débarquement des 65 personnes restées à bord. Le débarquement des rescapé.e.s et des personnes décédées s’est déroulé le 2 juillet.

Après le débarquement des rescapé.e.s à Taranto, le Geo Barents est reparti vers la zone de recherche et de sauvetage et a secouru le 7 juillet 315 personnes en détresse au cours de six opérations . MSF a souligné que tous ces sauvetages avaient eu lieu dans la zone de recherche et de sauvetage maltaise, sans la moindre coordination de la part des autorités maltaises. Le 8 juillet, un patient souffrant de convulsions a dû être évacué par hélicoptère. Le 11 juillet, cinq jours après les six sauvetages, les autorités italiennes ont de nouveau désigné Taranto comme lieu sûr de débarquement pour les 314 personnes restées à bord du Geo Barents. Le débarquement des 314 personnes a commencé le 13 juillet.

Entre le 24 juin et le 4 juillet, l’Ocean Viking a secouru 306 personnes en détresse au cours de huit sauvetages effectués dans les zones de recherche et de sauvetage libyenne et maltaise. Le 5 juillet, les autorités italiennes ont désigné Pozzallo comme lieu sûr pour les rescapé.e.s qui ont pu débarquer les 6 et 7 juillet.

Des femmes, des hommes et des enfants continuent de se noyer en Méditerranée centrale


En plus des 30 décès comptabilisés par MSF le 27 juin, d’autres naufrages se déroulent toujours en Méditerranée centrale et des êtres humains continuent de mourir en mer dans d’horribles conditions. Le 1er juillet, Safa Msehli, porte-parole de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), a indiqué que 22 personnes avaient trouvé la mort après avoir dérivé en mer pendant neuf jours, selon les 60 personnes rescapées ramenées en Libye le même jour. Le 4 juillet, le journal Libya Observer a révélé que deux enfants et un homme étaient morts lorsque leur embarcation avait chaviré au large de Sabratha.

D’après l’OIM, au moins 810 personnes sont mortes en Méditerranée centrale en 2022.

Une autre tragédie s’est produite sur terre le 24 juin entre Melilla, enclave espagnole au Maroc, et la ville marocaine de Nador. Selon plusieurs ONG, 37 personnes sont mortes et une centaine d’autres ont été blessées en essayant de franchir la frontière, en raison d’un usage excessif de la force par les autorités.

Malgré la succession des naufrages, les ONG continuent d’être la cible des autorités


Le 24 juin, Sea Watch a révélé que le navire de sauvetage Aurora, appartenant à l’organisation bénévole anglaise Search and Rescue Relief (SARR) partenaire de Sea Watch, avait été retenu par les autorités britanniques après sa première mission en mai. Le 9 juillet, d’après l’ONG Sea Watch, le Parlement allemand a déclaré que l’interdiction de vol imposée aux avions de Sea Watch au-dessus de la zone de recherche et de sauvetage libyenne était illégitime, car « l’espace aérien au-dessus des zones de haute mer ne relève pas de la souveraineté de l’Etat ».

Les garde-côtes libyens de plus en plus actifs pour les retours forcés et présents lors des sauvetages effectués par des organisations civiles, alors que les violations de droits humains en Libye ne cessent d’être dénoncées


Comme indiqué plus haut, un patrouilleur libyen a effectué des manœuvres dangereuses au cours d’un sauvetage réalisé le 24 juin par le Louise Michel. Le 30 juin, un patrouilleur libyen s’est approché à grande vitesse d’une embarcation en détresse pendant que l’équipe de l’Ocean Viking était en pleine opération de sauvetage. Le 1er juillet, l’avion Seabird de l’ONG Sea Watch a été témoin de l’interception illégale de 100 personnes en détresse par les garde-côtes libyens dans la zone  de recherche et de sauvetage maltaise. Quelques jours plus tard, l’ONG diffusait une vidéo révélant l’interception et le comportement inqualifiable des garde-côtes libyens.

En tout, selon l’OIM, 1 412 personnes ont été interceptées et ramenées de force en Libye par les garde-côtes libyens ces trois dernières semaines ; 480 entre le 19 et le 25 juin ; 633 entre le 26 juin et le 2 juillet ; 299 entre le 3 et le 9 juillet. Au total, 10 272 personnes ont été ramenées de force en Libye depuis le début de l’année 2022.

Le 6 juillet, lors de la 50e session du Conseil des Nations Unies pour les droits humains, la Mission indépendante d’enquête (FFM) en Libye a confirmé « les violations généralisées et systématiques des droits humains envers les migrants ». Elle a aussi rappelé qu’il existait « des motifs raisonnables » de « croire que des crimes contre l’humanité sont commis contre des migrants en Libye ». Au cours de ces derniers mois, la mission a réuni de nouveaux éléments confirmant le résultat de ses précédentes enquêtes, mais aussi des événements impliquant de nouveaux acteurs qui se sont déroulés depuis son dernier rapport et ses dernières recommandations.

Le dernier point soulignait que « l’impunité persistante perpétue des cycles de violence et encourage de nouveaux acteurs à s’engager dans ce type d’activités ». La FFM a également souligné les responsabilités de Malte et de l’Italie concernant leurs accords de coopération avec la Libye et constaté que peu avait été fait pour réformer les pratiques et combattre les crimes révélés dans de précédents rapports. En raison des difficultés d’accès sur le terrain et des obstacles l’empêchant de mener correctement sa mission, la FFM a demandé une nouvelle prorogation de son mandat.

Accord des Etats membres européens sur un mécanisme de relocalisation des rescapé.e.s


Le 22 juin, 18 Etats membres de l’Union européenne et 3 Etats associés de Schengen ont confirmé leur engagement pour un mécanisme volontaire de solidarité visant à organiser la relocalisation des personnes secourues en Méditerranée. C’est un premier pas pour répondre au besoin crucial d’un mécanisme de débarquement prédictible respectant  le droit maritime, mais son adoption était une condition pour que les MED5 (Italie, Chypre, Grèce, Malte et Espagne) acceptent les contrôles et le règlement Eurodac proposés dans le Pacte sur la migration et l’asile. L’une des options proposées dans l’accord est un soutien financier pour les pays tiers. Il est trop tôt pour savoir si cet accord sera effectif et comment il pourra s’appliquer.

Hausse des arrivées autonomes en Italie


Selon l’ONG Sea Watch, plus de 2 000 personnes sont arrivées de façon autonome à Lampedusa la première semaine de juillet. Selon Matteo Villa, directeur de recherche à l’Institut italien d’études politiques internationales (ISPI), seules 14% des personnes arrivées en Italie par la Méditerranée centrale en 2022 ont été secourues par des organisations civiles, alors que 86% sont arrivées par leurs propres moyens ou ont été secourues par d’autres acteurs.


Photo : Anthony Jean / SOS MEDITERRANEE

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