« Tant que je sentirai que je peux contribuer à sauver des vies, je serai là », Lisa, marin-sauveteuse à bord de l’Ocean Viking
6 octobre 2021

Lisa est actuellement à bord de l’Ocean Viking pour sa deuxième mission de recherche et de sauvetage en mer. Marin italienne de 28 ans, elle a décidé de rejoindre SOS MEDITERRANEE au début de l’année pour mieux comprendre la situation en Méditerranée centrale.

Lors de ma première mission en avril dernier, j’ai entendu avec des détails crus ce à quoi les personnes piégées en Libye sont confrontées. On peut en apprendre un peu dans les médias, mais entendre cela directement a eu un impact très différent sur moi. J’ai écouté tant de personnes décrire comment elles avaient enduré toutes sortes d’abus et de violences. J’ai appris que j’étais parmi les personnes chanceuses sur cette planète Avant de rejoindre SOS MEDITERRANEE, Lisa a parcouru le monde pendant neuf ans, de l’Australie à l’Amérique du Sud, désireuse de découvrir d’autres horizons et d’apprendre en chemin. « Lorsque j’ai terminé mes études secondaires à 19 ans, j’ai décidé de voyager pendant un an pour voir différents endroits et rencontrer les cultures les plus diverses. J’ai tellement aimé ces voyages que je n’ai jamais cessé d’en faire, et jusqu’à aujourd’hui, je ne ressens pas le besoin de me fixer. J’aurais l’impression de passer à côté de trop de choses dans le monde », sourit-elle. Sur la route, Lisa a exercé toutes sortes de métiers, de l’agriculture à la navigation. « J’ai commencé à travailler sur des voiliers il y a quatre ans. Et un jour, j’ai rencontré une marin-sauveteuse de SOS MEDITERRANEE. Quand elle m’a dit que j’avais des compétences utiles pour faire partie d’une équipe à bord d’un navire d’ONG de recherche et de sauvetage, j’ai immédiatement postulé. » Lisa sait maintenant qu’à l’époque, elle n’avait aucune idée des difficultés que les équipes à bord de tels navires peuvent rencontrer en Méditerranée centrale. Le 22 avril, elle et son équipe à bord de l’Ocean Viking ont été témoins des conséquences d’un tragique naufrage qui a fait environ 130 morts. Je pense avoir réussi à surmonter le traumatisme car je peux maintenant en parler, mais le sentiment de colère et de frustration demeure et ne me quittera probablement jamais. Ce n’est pas une photo choquante que j’ai vue sur un site web et que je peux oublier. J’ai vu une partie brute et impitoyable de l’humanité, sans filtre. Cela m’a ouvert les yeux. Après avoir vu cela, on ne peut plus revenir en arrière et ignorer la situation. Au cours de cette mission, les équipes de SOS MEDITERRANEE ont également porté secours à 236 personnes. Je pense que j’ai vu le pire et le meilleur en une seule mission. Secourir des personnes en détresse a contribué à redonner un peu d’espoir et de force. Comme je suis italienne, une personne rescapée m’a demandé de lui apprendre quelques mots. Finalement, j’ai fini par enseigner ma langue à toutes celles et ceux à bord qui étaient intéressé.e.s, en attendant l’autorisation de débarquer dans un lieu sûr. Je me souviens des rires et des sourires. C’était de si bons moments.
S’occuper des personnes rescapées à bord de l’Ocean Viking, les écouter, lui a également beaucoup appris. L’immigration est un sujet politique important en Italie, notamment en Sicile. Chaque jour, nous regardons des émissions de télévision et nous lisons des journaux qui parlent de soi-disant « migrants qui envahissent le pays » – alors que leur nombre est très faible par rapport à la population en Italie ou en Europe. Nous sommes témoins de beaucoup de haine et de discrimination. Avoir rencontré et parlé avec des femmes, des enfants et des hommes qui ont pris le risque de mourir en mer, avoir appris à connaître leur détresse, me donne le sentiment de mieux comprendre la situation. Alors qu’elle se prépare à partir pour sa deuxième mission en mer, Lisa reste prudente quant à son implication dans de telles opérations de sauvetage. « Je ne sais pas combien de temps je peux continuer à faire ça. Je ne veux pas finir par me sentir toujours en colère et désespérée, mais tant que les États européens manqueront à leur obligation de porter assistance en mer et tant que je sentirai que je peux contribuer à sauver des vies, je serai là. » Photos : Flavio Gasperini / SOS MEDITERRANEE