«First approach, First assessment» (Première approche, première évaluation)
21 mars 2024

Le 13 mars 2024, l’Ocean Viking secourait une embarcation pneumatique avec seulement 25 personnes excessivement affaiblies à bord, dont deux inanimées. Une soixantaine manquait à l’appel. Thérèse, membre de l’équipe de sauvetage, était en charge de transmettre la première évaluation de la situation au navire. Elle raconte ce moment tragique.

ATTENTION : ce témoignage sur un épisode difficile est susceptible de choquer certaines personnes. Nous préférons vous en avertir.  

Cette fois, l’embarcation n’est pas surchargée.

Sur ce genre de « rubber boat [1]», normalement, on pourrait voir jusqu’à une centaine de personnes « compactées à touche-touche ». Les boudins et la structure ne sont pas endommagés. De mauvaise facture, oui, mais on a vu pire. D’ailleurs l’embarcation a tenu. Il y a quand même le moteur qui ne va pas : l’hélice en l’air, il est posé sur le tableau arrière. On voit quelques personnes. Quel silence ! Mais où sont tous les autres ?

« Ces absents-là sont morts lentement de faim et de soif. Ça a duré. Ils se sont vus et sentis mourir pendant des jours et des nuits. »

Thérèse, pilote du canot de sauvetage

Tombés à l’eau au départ dans la cohue ou plus tard, sur un mauvais coup de mer ? D’évanouissement, étourdis par l’épuisement et les vapeurs de fuel ? Non, ce n’est pas ça, pas en si grand nombre : ils sont des dizaines à manquer. C’est autre chose. Ces absents-là sont morts sur le bateau. Ces absents-là sont morts lentement de faim et de soif. Ils sont morts d’avoir bu l’eau de la mer. Ça a duré. Ils se sont vus et sentis mourir pendant des jours et des nuits.

Ils avaient envoyé des appels au secours. Ils ont vu des hélicoptères et des bateaux qui ne les cherchaient pas. Ils ont fait des signes, hurlé, pleuré. Et ils sont morts les uns après les autres. Les uns devant les autres. Il n’y a pas de cadavres dans l’épave. Des corps aimés, devenus encombrants qu’il faut jeter à la mer. Deux hommes allongés dans les fonds sont donnés pour morts. Ils respirent encore. Sur les brancards, les survivants ne pèsent rien, ils sont si légers ! Le poids de l’âme et à peine un peu plus.

Photo : Johanna de Tessières / SOS MEDITERRANEE

On les a trouvés par hasard, parce qu’on était là, à patrouiller en haute mer au large des côtes de la Libye. Par hasard, ils sont passés dans le champ de nos jumelles et de notre radar. Ils dérivaient depuis une semaine, abandonnés. Abandonnés en dépit de toutes les lois qui obligent à l’assistance des personnes en danger. En dépit du droit maritime international qui oblige au sauvetage en mer.

Ils sont 24 survivants à pouvoir témoigner. Et nous avec eux.

         

Crédit photo en haut de page : Tara Lambourne / SOS MEDITERRANEE


[1] Embarcation pneumatique