Dragos, membre de l’équipe de recherche et de sauvetage
3 novembre 2020

1. Peux-tu te présenter brièvement ? Que fais-tu quand tu n’effectues pas de secours en mer ? Quel est ton rôle quand tu es à bord ?

Je suis né près de la mer Noire, en Roumanie, en 1979. Je suis officier de pont, après avoir été journaliste. J’ai rejoint l’équipe de secours de SOS MEDITERRANEE en 2017. Quand je suis à bord, je suis généralement membre d’équipage sur l’un des canots de sauvetage de SOS MEDITERRANEE. J’ai participé à de nombreuses opérations de recherche et de sauvetage sur l’Aquarius et l’Ocean Viking. Ces trois dernières années, j’ai vu beaucoup de sourires et de larmes. Quand je suis chez moi, j’aide des amis membres d’équipage à entretenir les bateaux, je suis l’actualité et je passe du temps avec ma famille.

2. L’Ocean Viking est malheureusement immobilisé depuis longtemps. Comment vis-tu cette situation, que penses-tu de cette détention ?

Cette situation de blocage me place dans la position d’un spectateur de film d’horreur, sauf que ce n’est pas du cinéma, c’est la vraie vie en mer. Quand on est bloqué à la maison, c’est très dur de lire à 2h du matin sur Twitter une alerte concernant un bateau en détresse dans le secteur où nous intervenons d’habitude. Je me dis toujours : « On pourrait être là pour ces personnes, on pourrait peut-être les sauver ». Cette réalité est à notre porte, mais elle est si loin de la vie quotidienne des Européens que les gens ont l’air de l’ignorer. Même si nous essayons de les sensibiliser, les naufrages sont loin d’être terminés en Méditerranée centrale.

3. Qu’as-tu appris de ta vie à bord ? (Ce dont généralement on ne parle pas assez ?)

Je considère que c’est un privilège, pour moi et mes collègues, de rencontrer les gens que nous secourons en mer. La population européenne sait très peu de choses sur eux et sur les épreuves qu’ils traversent. Je pense que la plupart des gens préfèrent regarder ailleurs. Il est difficile d’imaginer ce qu’est l’esclavage moderne par exemple. C’est un concept que nous connaissons à travers les livres d’histoire et les films. Mais cela arrive encore aujourd’hui, à côté de nous. Les survivants de  la Libye décrivent des violations des droits humains inimaginables. Nous essayons de soutenir et prendre soin des personnes que nous secourons, du mieux que nous pouvons, nous les écoutons, les traitons avec dignité et essayons de les réconforter avec des paroles rassurantes. Il suffit parfois d’une couverture sèche et d’une tasse de thé chaud pour qu’ils commencent à retrouver leur dignité. J’aimerais que les Européens connaissent davantage l’histoire de ces gens qui risquent leur vie en mer pour chercher la sécurité. Je crois que notre mission de sauvetage serait alors moins politisée. C’est pour cela que nous témoignons le plus possible, et nous continuerons de le faire tant que ce sera nécessaire.  

4. Quel vœu ferais-tu pour les mois à venir et pour ton travail de recherche et sauvetage ?

Nous sommes bloqués à terre depuis beaucoup trop longtemps. Je ne comprends pas pourquoi les opérations de sauvetage en mer sont si politisées aux frontières de l’Europe depuis ces derniers mois et ces dernières années. Nous devons réaliser que les gens continuent à fuir, et qu’empêcher les navires de recherche et de sauvetage des ONG d’opérer ne fait qu’engendrer plus de pertes de vies en mer. Tout le monde est perdant dans cette situation et cela nous couvre de honte, tous.

Photo couverture : Faras Ghani / Al Jazeera