Au travail ou en congé, Marie passe une grande partie de sa vie en mer. Infirmière la moitié de l’année sur des navires câbliers, elle continue à naviguer, en solitaire ou en famille, sur son petit voilier quand elle rentre de mission. À terre, au sein d’une antenne locale de SOS MEDITERRANEE, elle s’attache à sensibiliser le public breton au drame des naufrages à répétition en Méditerranée.
Débarquée fin mars dans le port de Brest, en pleine crise du Covid-19, elle nous livre son témoignage sur les répercussions de la pandémie dans le monde maritime.
1) Comment se passent tes missions professionnelles en mer et quel est ton rôle à bord ?
Je suis infirmière de formation et, grâce à mon expérience maritime, j’ai été recrutée, il y a 8 ans pour travailler sur des navires câbliers de 100 mètres de long qui servent à la maintenance des câbles de télécommunications sous-marins en Atlantique Nord, Méditerranée et mer Rouge. Je fais partie du personnel médical demandé par l’armement pour la prise en charge des soins et le suivi des 70 marins embarqués ainsi que la surveillance sanitaire du navire. Mes collègues soignants et moi-même secondons le commandant, responsable légal des soins en mer. Nous sommes régulièrement amenés à prendre en charge des maladies ou des accidents en lien étroit avec le CCMM (Centre de Consultations Médicales Maritime) basé au SAMU 31. Les embarquements sont en général prévus sur une durée de deux mois consécutifs mais certains marins extra-communautaires restent embarqués pour des rotations de 6 mois; leur suivi médical est d’autant plus important.
2) Quels sont les risques encourus par vos équipages en cette période de crise sanitaire?
De retour dans le port de Brest en pleine crise du Covid-19, j’ai participé activement à la mise en place de protocoles de conduites à tenir face à des cas déclarés et essayé d’imaginer les meilleures façons d’organiser une relève d’équipage. Malgré les réticences de notre équipe médicale face au danger d’embarquer des marins potentiellement malades ou porteurs sains, il fallait continuer l’activité pour pallier les défaillances des réseaux mondiaux de télécommunication. Des tests ont pu être prodigués sur nos marins en laboratoire avant d’accéder à bord.
Un protocole a été établi par les autorités maritimes compétentes en cas de détection d’un cas de COVID-19 en mer, mais sa mise en application pourrait s’avérer très difficile sur nos navires avec leurs coursives étroites, leur carré unique, et leur système de ventilation reliant tous les lieux de vie. Au cœur de cette crise, la faisabilité d’une évacuation vers un pays durement touché par le virus est plus qu’incertaine.
Le risque, déjà encouru par certains navires commerciaux ou militaires, serait de se voir interdit d’approche et d’escale. Et dans tous les cas, une quarantaine serait exigée pour tout le navire et son équipage. Nos navires ont une dotation médicale très conséquente pour le long cours, mais en cas d’accidents graves ou, dans le cas présent, d’infection au Covid-19, nous n’avons ni les moyens, ni les compétences requis pour garder à bord une personne en détresse respiratoire aiguë. Le nombre important de personnes à bord pourrait rendre une contamination ingérable et dangereuse pour tous.
3) Quel message souhaites-tu faire passer ?
Je pense que la crise sanitaire à laquelle nous sommes confrontés, si complexe et inhabituelle, nous place devant un terrible dilemme : comment se positionner entre l’intense volonté de sauvegarder la vie en mer et la nécessité de prendre toutes les mesures possibles pour garantir la sécurité des personnes embarquées, équipages et rescapés ?
En tant que bénévole de SOS MEDITERRANEE, je reste mobilisée pour sauver des vies en mer. Et en attendant un retour de l’Ocean Viking dans la zone de recherche et de sauvetage au large de la Libye, je souhaite continuer au sein de notre antenne bretonne à informer et sensibiliser le plus grand nombre au drame des naufrages en Méditerranée.
Crédit photo : Matthieu Guingouain